Le billet de Bruno Bonduelle

La loi est promulguée. A quoi bon ergoter puisque c'est la loi. Entre l'opulente Ile de France et la prospère Belgique, s'étale désormais un vaste territoire issu de « l'union d'une région à la peine à une autre qui sombre ; deux fragilités ne peuvent donner une force ». Reste à faire mentir ces sinistres propos d'un sociologue qui n'a vu dans cette fusion que le premier degré. Deux phrases qui font mal et nous incitent à faire preuve de volontarisme pour que un et un fassent trois. Un nom pour cette nouvelle région de six millions d'âmes ? Surtout pas la juxtaposition des deux anciens. Nous avons trop souffert avec ce Nord-Pas de Calais dont l'appellation, imaginée par des technocrates sans imagination, symbolise depuis sa création la division d'une région coupée en deux. Je propose quant à moi « Picardie » tout court. Un nom assorti d'un hymne autrement vendeur que ce P'tit Quinquin, incompréhensible pour un non-Lillois. Madame ferme les yeux et se laisse emporter par la voix caressante de Frank Sinatra. Elle a trouvé ce 78 tours empoussiéré dans les vieilleries de sa grand-mère ; cette rengaine faisait fureur dans l'Amérique heureuse des années 60, avec ces paroles écrites en 1914 sur le front de la Somme par un officier anglais amoureux d'une veuve de guerre française. D'autres crooners s'en emparèrent, Montand par exemple, dans l'oreille de Marylin. C'est ainsi que, dans l'inconscient collectif anglo-saxon, Picardy fait partie, avec Normandy, de ces territoires français qui font rêver. Davantage en tout cas que cet horrible Nord-Pas-de-Calais, imprononçable, intraduisible, invendable. On se souvient de l'histoire de ce Bruxellois racontée par Coluche. En route pour le ferry, il fait demi-tour, sitôt franchie la frontière de Baisieux après avoir lu sur un panneau qu'il n'y a pas de Calais ! Oublions aussi ce Nord qui évoque la froidure et dont les Constituants, guère imaginatifs, nous ont affublés car, à défaut de fleuve ou de montagne, ils n'avaient trouvé que la boussole. Oublions aussi ces Hauts de France, quelque peu ridicules dans notre plat pays.
Vous cliquez « ch'ti » et Google-je-sais-tout, vous oriente sur « dictionnaire picard ». Alors Luc Doublet, peu satisfait de ce Northern France pour vendre la Région à l'étranger propose de devenir président de « Invest in Picardy ». Après tout, dit-il, nos voisins de Tournai ont osé innover avec cette «Wallonie picarde » pour désigner leur territoire. Win-Win, il n'y a pas de perdants. La capitale de région reste à Lille mais les Picards sont fiers de nous donner leur nom ; ils ne pourront pas dire qu'ils ont été anchlussés. Car les ch'tis n'ont jamais cessé d'être picards. Le mariage est célébré. Reste à le consommer. Facile pour Amiens et Saint-Quentin, si proches de nous culturellement. Difficile mais encore possible pour Soissons la mérovingienne. Impossible en revanche pour Senlis la capétienne, Compiègne l'impériale ou encore Chantilly la princesse qui vit au rythme du Prix de Diane où se presse le Tout-Paris mais aussi celui du R.E.R D où s'entassent les banlieusards. Historiquement, géographiquement, sociologiquement, économiquement, l'Oise est francilienne ; elle doit le rester et l'avenir du Nord rester au nord.