Pierre Giorgini, Président-Recteur : "La Catho doit aller sur des marchés de différenciation

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Photos Sophie Stalnikiewicz / Recueilli par Olivier Ducuing et Julie Dumez

 

Qu'est-ce qui différencie la Catho d'autres e?tablissements supérieurs aujourd'hui ?

Les chre?tiens n'ont pas le monopole de la re?fe?rence aux valeurs de respect ou de la dignite? des personnes. Le fait d'e?tre une Universite? catholique et de l'afficher n'est pas neutre. Cela indique l'appartenance a? une tradition, cela peut amener des gens qui viennent chez nous dont une proportion minoritaire est catholique pratiquante a? nous interpeller quotidiennement sur la question : quelles promesses cette identite? induit-elle ? C’est e?videmment bien plus qu'une marque. On a dans nos ge?nes une approche plus libe?re?e que les universite?s publiques sur les questions d'e?ducation. Nous avons une mission d'e?ducation qui de?passe largement la mission d'instruction. Ce qui ne veut pas dire que nous voulions faire du prose?lytisme, nous respectons les crite?res de lai?cite?. Mais nous voulons de?velopper la capacite? des jeunes a? avoir une pense?e autonome.
On a parfois du mal a? vous identifier, vous avez de multiples facettes... Nous sommes un ovni dans le paysage franc?ais car nous sommes la seule universite? catholique a? avoir dans une synergie tre?s forte nos trois traditions de cre?ation de 1875, a? savoir : un cœur facultaire, avec une faculte? de the?ologie ; la tradition des grandes e?coles avec HEI puis une myriade d'autres depuis qui ont pris une dimension internationale, mais aussi le soin, avec des ho?pitaux. On est sur le grand e?cart de la socie?te? : un pied dans le plus fragile a? travers notre ho?pital Saint-Vincent et en me?me temps un pied dans la modernite?, le business, la finance internationale avec de grandes e?coles de commerce ou d'inge?nieurs qui gardent dans leurs ge?nes un regard particulier sur cette fragilite? (social business, in- novation frugale, etc.).

 

La forte croissance de ces dernières années se poursuit-elle ?

Nous sommes a? 27 000 e?tudiants cette anne?e. Les croissances se poursuivent dans les e?coles, et au sein du cœur facultaire plus mode?re?ment. Le contexte e?conomique est tre?s difficile. Ce serait une erreur de compenser les baisses fortes de subvention que nous subissons par l'augmentation des volumes d’e?tudiants, qui peut e?tre un tre?s mauvais calcul avec des effets de seuil qui imposeraient d'investir dans l'immobilier, recruter des professeurs, etc. On est probablement aujourd'hui a? un palier.

 

Comment définiriez-vous votre modèle?

Nous ne sommes pas a? but lucratif, nous sommes une association qui re?investit tout ce qu'elle perd ! Notre mode?le fait notre force, on a invente? avant l'heure un mode?le libe?ral coope?ratif comme dit mon colle?gue Jean-Philippe Ammeux, Directeur de l’Ieseg. Notre adhe?sion unanime a? la COMUE (communaute? d'universite?s et e?tablissements) en tant que fe?de?ration est un signe fort. L'aspect libe?ral est que l'autonomie de chaque e?tablissement libe?re l'initiative, tandis que notre aspect coope?ratif se concre?tise dans une fe?- de?ration tre?s synergique.

 

On a beaucoup critique? nos universite?s publiques qui n'ont pas su se fe?de?rer pour de?crocher les projets du plan d'investissement d'avenir. E?tes-vous pour leur fusion et pour un marketing universitaire commun?

Mon expe?rience d'entreprise montre que raisonner uniquement en terme de concurrence est une erreur; ce qui compte d'abord c'est l'attractivite?. Pour moi universite? catholique, il me faut aller sur des marche?s de diffe?renciation, de niche. L'union des universite?s fera que Lille va sonner aux oreilles sur le plan international et sera plus attractive. Si notre offre se diffe?rencie bien de l'uni-ersite? publique, nous n'en tirerons que du profit. Si les e?coles d'inge?nieurs de la Catho de?veloppent leur attractivite? avec un prospect de 8000 au lieu de 5000, tous ceux qui font de la qualite? auront des retombe?es. Il faut absolument qu'on ait l'initiative d'excellence (IDEX). Si la re?gion n'est pas dans une IDEX, cela veut dire qu'elle ne jouera pas en premie?re division, et donc nous non plus. La seule re?gion en France ou? on propose que la Catho entre dans les statuts, c'est ici. Philippe Rollet (ndlr : pre?sident de Lille I) a fait un vrai travail de construction d’un consensus.

 

Quelles nouveautés pour cette rentrée a? la Catho ?

On a ouvert de nouveaux masters en e?cologie ope?rationnelle sur la troisie?me re?volution industrielle, un autre en e-business. On lance notre e?cole de masters prochainement. Mais on en a ferme? cette anne?e deux a? contrecœur.
La crise e?conomique peut rendre les frais de scolarite? plus lourds a? supporter. Le ressentez-vous ? Il nous est difficile de le mesurer. C'est diffe?rent selon les e?coles. Personne dans la fe?de?ration ne m'a parle? d'explosion des demandes de bourses. Il faut aussi tenir compte de relais ex- ternes : quand un e?le?ve inte?gre une e?cole au ranking fort comme l'Ieseg et l'Edhec, il peut facilement contracter un pre?t bancaire. Je n'ai pas non plus de retour de ce genre pour nos e?coles d'inge?nieurs, le directeur de l'ICAM me disait me?me qu'il e?tait en sureffectif cette anne?e; l'ISEN a bien progresse?, l'ISA qui est plafonne?e recrute tre?s bien et HEI est dans sa feuille de route.

 

Et pour les filières universitaires ?
C’est plus complique?. Nous avons e?te? pris dans une forme de pie?ge, du fait de la conjoncture politique. Nous avons signe? un contrat avec l'Etat sur la base d'une augmentation forte de nos subventions, mais qui restait limite?e : on devait passer de 1.000 € par e?tudiant a? 1.500 €, pour aller peut-e?tre vers 2.000€, sachant qu'un e?tudiant cou?te 8000 €. En contrepartie, nous devions faire exploser notre ouverture sociale, ce que nous avons fait en de?calant vers le bas notre bare?me moyen (qui re?gle les frais de scolarite? en fonction des revenus) d'a? peu pre?s 800 €. Les e?tudes au cœur facultaire peuvent aller de 2.500 € a? 7-8.000 € selon la filie?re et les revenus des parents. Notre engagement a fait monter le taux de boursiers de quatre points (a? 20% environ). On avait aussi commence? a? recruter des enseignants chercheurs... La recherche quasiment autofinance?e par nous est un enjeu colossal pour la Catho. Ensuite, sans pole?mique politique, ces subventions, au lieu d'augmenter ou me?me de se stabiliser ont de?cru ! On est tombe? a? moins de 800 €.
La situation devrait encore s'aggraver avec la re?forme de la taxe d'apprentissage... Bien su?r ! Une grande partie de nos ressources en taxe d'apprentissage venait du hors quota et des fonds libres. Que l'Etat refocalise la taxe d'apprentissage sur l'apprentissage re?el, avec le taux de cho?mage actuel, est tout a? fait entendable politiquement. Sauf que pour nous c?a produit un de?ga?t collate?ral extre?mement important qui vient se combiner avec la baisse des subventions d'Etat.
On contro?le la situation gra?ce a? la qualite? de nos gestionnaires. Les entreprises sont extre?mement pre?sentes. On nous reconnai?t y compris dans le domaine hospitalier une vraie capacite? a? ge?rer : nos ho?pitaux sont quasi a? l'e?quilibre alors qu'ils sont a? la T2A, sans secteur prive? et sans surhonoraires.
Mais nos quatre sources principales de ressources sont simultane?ment en crise :    la    subvention    d'Etat    a    perdu 25% par rapport a? la base 0, la taxe d'apprentissage sur laquelle on s'attend dans les trois anne?es prochaines a? 30 a? 40% de baisse me?canique, le me?ce?nat ou? l'on pense e?tre a? 20 ou 30% sous nos objectifs et les revenus des familles.

 

Si les difficultés financières s'aggravent, prendrez-vous des mesures plus drastiques comme la fermeture de certaines filières ?

Peut-e?tre. Pour l'instant, on a re?ussi a? pre?server l'ensemble de nos actions, fusionne? deux faculte?s. On a pris un axe strate?gique tre?s fort autour de l'innovation, avec les Adicode e?galement, le laboratoire pe?dagogique expe?rimental, avec des investissements lourds. Notre attractivite? est base?e sur notre qualite? pe?dagogique, mais aussi par un campus dans la ville. Les gens n'accepteraient pas de payer 7-8000 € de scolarite? et d'e?tre dans des locaux de?labre?s. Nous sommes condamne?s a? investir et a? travailler notre attractivite? autour de l'innovation. On a pris un risque : quand on a vu que les subventions diminuaient et qu'on allait rentrer dans une phase difficile, on avait deux choix : se replier, serrer les dents, chercher des e?conomies, rogner partout. C?a marche si on est dans un creux conjoncturel. Je pense qu'on est dans un phe?nome?ne durable, la de?cision du conseil d'administration a donc e?te? tout autre : « on casse la tirelire » et « on sort la voilure dans le gros temps ». C'est un risque mais aussi la seule solution. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'e?conomie d'exploitation. Mais chez nous, du gras il n'y en a pas beaucoup. Ne faire que du cost-killing, a? un moment peut poser des proble?mes de croissance.
Concre?tement, comment se traduisent vos ambitions? On a un plan de re?duction des cou?ts, combine? a? un plan d'investissement d'avenir « Horizon 2020 » dans lequel on a mis 20 M€ avec le soutien des banques, et de l'inge?nierie financie?re. Au total, 40 M€ ont e?te? mis sur l'innovation et les e?cosyste?mes innovants. Sur ce total, 20 M€ l'ont e?te? dans le champ des e?coles d'inge?nieurs notamment autour des Adicode (ateliers de l'innovation et du codesign), dont 10 ont e?te? apporte?s par l'Etat, la Re?gion, LMCU et l’Europe, et le reste en autofinancement. Sur la partie faculte?, on y est alle? tout seul, en emprunt bancaire, en re?inge?nierie financie?re et en productivite? interne.

 

Le regroupement HEI-ISA-ISEN a- t-il vocation à être dupliqué ?

C'est trop to?t pour en tirer un bilan. Cela donne clairement un cadre transversal, des gestions communes de tre?sorerie et une assise financie?re plus importante pour investir. La formation purement disciplinaire ce?de le pas a? des innovations d'inte?gration, qui demanderont des inge?nieurs de plus en plus multi- disciplinaires. La convergence technoscientifique que nous sommes en train de vivre de?place les frontie?res.
Cette transdisciplinarite? est-elle vraiment une demande du monde de l'entreprise aujourd'hui ? Je suis assez convaincu des the?ses au- tour de l'ide?e que l'on passe de fac?on assez fulgurante d'une e?conomie base?e sur l'efficacite? productive a? une e?conomie base?e sur l'intensite? cre?ative, ce que dit le prix Nobel Feltz. Pour autant c?a ne veut pas dire que du jour au lendemain, 90% des emplois cre?e?s dans l'inge?nierie rele?veront de l'intensite? cre?ative. On le sent bien dans nos relations avec les entreprises qui nous demandent des inte?grateurs, des gens cre?atifs, capables d'inte?grer l'aspect multidimensionnel d'un produit ou d'un service.

 

Quel est aujourd'hui le rapport entre la Catho et les entreprises ?

Chez nous, c'est dans l'ADN. Nous avons en gros 300 administrateurs sur l'ensemble des entite?s de la fe?de?ration. Une bonne partie est des chefs d'entreprise. Beaucoup de nos recherches de financement, le de?veloppement de contrats pro, par exemple, nous rapprochent d’eux. On a de?veloppe? un regard suffisamment bon sur l'entreprise et eux sur nous. Ce serait une erreur de rentrer dans une re?ponse syste?matique aux entreprises, qui pourrait e?tre parfois court-termiste. Les entreprises savent qu'ici il y a une oreille, une e?coute. Elles ont aussi perc?u qu'on a place? la question de l'innovation au cœur de la transformation de la Catho. Les Adicodes (Vauban et Euratechnologies) sont parmi les espaces les plus avance?s en France avec les fab-labs notamment. Cela nous donne une capacite? d'interpellation qui les inte?resse. Elles ne souhaitent pas avoir une universite? catholique « a? la botte ». Elles pre?fe?rent une dialectique.
La vision en flux de l'universite? est morte pour moi. Quand on se regarde comme un process, on peut se dire qu'on est une boi?te qui entre des bacheliers et qui sort des diplo?me?s adapte?s aux enjeux de la socie?te?. Je pense que ce mode?le va diminuer, et qu'il ne nous rame?nera en tout cas pas au plein emploi. Le mode?le alternatif est de se penser comme un e?cosyste?me connecte? aux autres y compris celui de l'entreprise et pour mettre en mouvement des jeunes qui soient cre?ateurs de valeurs.

 

 

Où en est votre quartier Humanicité ?

Ce programme montre notre co?te? iconoclaste : en tant qu'universite? nous sommes ope?rateurs avec d'autres d'un quartier de ville, de vie, autour du vivre ensemble et de la mixite? sociale. Nous voulons interpeler le monde en e?tant pre?sent au monde, dans les innovations dans ce quartier biento?t termine?. Je suis arrive? apre?s The?re?se Lebrun, e?merveille? et subjugue? par ce projet. C'est une chance incroyable pour une universite? d'avoir des chercheurs et des e?tudiants qui travaillent sur un quartier expe?rimental avec les habitants. Au de?but j'entendais : personne ne viendra vivre ici en sachant qu'il y a dix personnes en soins palliatifs ici, une personne a?ge?e en Ehpad a? gauche, l'ABEJ avec son insertion sociale, des enfants trisomiques de l'association de Lino Ventura... De?sole?, mais c?a marche ! La dynamique se cre?e.

 

 

 

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