Thrombose routière : renverser la table ?

Heures de travail perdues voire rendez-vous ratés : les embouteillages sont depuis des années un gros point noir de l'attractivité économique du territoire. Peut-on en sortir, et comment ?

Publié le 28/01/2019 par Julie Kiavué / Lecture libre / Temps estimé: 6 minutes

Abdoulaye Traoré, dirigeant d'Urban Labs Technologies (Valenciennes), Damien Castelain, président de la MEL, et Philippe Hourdain, président de la CCI Hauts-de-France.
Abdoulaye Traoré, dirigeant d'Urban Labs Technologies (Valenciennes), Damien Castelain, président de la MEL, et Philippe Hourdain, président de la CCI Hauts-de-France.

Heures de travail perdues, rendez-vous ratés, marchés manqués : les embouteillages sont depuis des années un gros point noir de l'attractivité économique du territoire. Le Club Eco121 s'est réuni dans les locaux d'Humanis, en présence de Damien Castelain, Philippe Hourdain et le startupper valenciennois Abdoulaye Traoré sur ce sujet devenu épidermique. Peut-on en sortir, et comment ?

Dans son livre blanc publié en 2015, la CCI Grand Lille évaluait à 1,4 Md€ par an le coût des embouteillages dans la métropole lilloise. Aujourd'hui, l'enjeu est toujours aussi vital. Le trafic ne montre aucun signe de ralentissement, sur fond de pollution de l'air. Le 15 décembre dernier, Lille a d'ailleurs franchi la barre alarmante des 60 jours de pics de pollution aux particules très fines. Les plus dangereuses pour la santé et liées en partie aux véhicules diesel.

« En 30 ans, rien n'a été fait ! », tonne le président de la CCI régio- nale. Selon qui aucune infrastructure ne verra le jour sans une appropriation du sujet par les entreprises et les décideurs politiques. « C'est une problématique générale, il faut réfléchir en terme d'attractivité et d'échanges. A l'heure actuelle, on n'est pas au rendez-vous et cela nous coûtera cher. Nous devons nous ressaisir, bâtir un écosystème et innover », préconise-t-il.

Projets enlisés

Pourtant, ce ne sont pas les projets visant à améliorer la situation qui manquent. Mais tous rencontrent des obstacles majeurs. Le tramway vers l'aéroport de Lesquin - promesse de Damien Castelain - est en panne. Idem pour le Réseau Express Grand Lille, RER Lille - Bassin minier qui devait décongestionner l'A1. « C'est un projet 100% Région. A la fin du mandat de Daniel Percheron il y a eu un débat public. A son arrivée, Xavier Bertrand a voulu, à juste titre, étendre les réflexions pour "belgiser" et picardiser le projet. Donc nous sommes là dans la catégorie du long terme. Mais la métropole n'a plus le temps d'attendre 20 ou 30 ans ! Nous sortons d'abord les solutions à court et moyen terme », défend le président de la MEL.« Au temps de Pierre Mauroy, on pouvait sortir 1,2 Md€. Malheureusement nous n'avons plus cette capacité financière aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai voulu la recréer en baissant de 17 M€ la délégation de service public (DSP) transportspour les réinjecter et sanctuariser dans de nouvelles infrastructures lourdes. » Las, on ne voit rien venir...

L'idée d'un téléphérique de Lille Sud jusqu'à l'aéroport le long de l'A1 ? Brest a inauguré ce nouveau mode de transport en novembre 2016 et a fêté le cap du million de passagers en juin dernier. « C'est un sujet qu'on étudie. Il représente un investissement beaucoup moins important que le Réseau Express et ne necessite pas un nombre d'années infini pour le construire », estime Philippe Hourdain, avant d'insister :« Pourquoi on en débat encore aujourd'hui ? Parce que rien n'avance! Toute la progression des infrastructures de la métropole est bloquée parce qu'on n'a pas de vision générale. » Toutefois, la capacité limitée d'embarquement de passagers par cabine, contrairement à celle du métro par exemple, ne permettrait pas de répondre aux enjeux de mobilités de demain, rétorque Damien Castelain. Le péage positif ? La MEL souhaitait mettre en place ce dispositif adopté par Rotterdam, avec une incitation financière aux conducteurs qui renoncent à la voiture aux heures de pointe. Aux Pays-Bas, il permet de soulager les principaux points de saturation avec une baisse de 5 à 7% ! Ce projet a lui aussi rencontré sur sa route des embûches. Alors que la MEL espérait sa mise en place pour fin 2018, la CNIL y a mis un premier coup de frein avant un second en novembre du gouvernement. Celui-ci a supprimé l’expérimentation de son projet de loi d’orientation des mobilités dans lequel se trouvait le sujet du péage positif. « Il y a un réel manque de cohésion générale. Résultat, tout est bloqué ! », déplore Damien Castelain, qui se retrouve avec Philippe Hourdain pour juger nécessaire « de renverser la table pour enfin avancer ».

« Covoiturage positif »

En matière d'expérimentation, la MEL ne s’avoue pas vaincue. Mi-décembre, elle a passé la première sur la navette autonome. Une première en France. Pendant un an, deux minibus électriques automatiques sillonneront le campus de Villeneuve d’Ascq. Le dispositif vise ensuite à être déployé dans les parcs d’activité de la métropole.

Le changement des horaires scolaires suggéré par la région Île-de-France censé fluidifier son trafic pourrait également séduire notre région. « Nous avons une réflexion commune avec l'Université de Lille, certaines entreprises et administrations sur ce sujet », annonce Damien Castelain.

En revanche, pas de gratuité des transports à l'horizon, contrairement à Dunkerque (où la fréquentation des bus a déjà grimpé de 50% en trois mois) ou à Calais. A Lille, le coût serait insurmontable. « Le système global des transports represente 300 M€ par an, financé à 200 M€ par les contribuables et le reste par la billetterie. Demain si on décide la gratuité pour les usagers, il nous faudra trouver 100 M€ par an et nous n'en avons pas les moyens », prévient le président de la MEL. Qui en profite pour annoncer la proposition « d'un covoiturage positif ». L’idée ? Offrir une contribution financière aux conducteurs et aux passagers qui partagent leur trajet. « On évalue à 1,1 passager par voiture sur l’autoroute aujourd’hui. Il faudrait que l’on arrive à deux par voiture demain », espère t-il.

L’IA, la solution ?

Pour cela, la métropole cherche à mieux connaître les flux de ses routes en utilisant la gestion intel ligente de systèmes d'exploitation. AlleGro, l'un d'eux, permet de piloter les feux de circulation de près de 900 carrefours.

A Valenciennes, la start up Urban Labs Technologies analyse les pro- blématiques de déplacements urbains grâce à des algorithmes intelli- gents, au sein du technopôle Transalley dédié aux mobilités innovantes et durables. Pour le dirigeant Abdoulaye Traoré, « une Smart City n'est pas une ville où tout est connecté, où on ne met pas 10 minutes pour aller chercher son pain, mais une ville adaptée à ses habitants. » La société qui emploie 10 personnes traite les données pour comprendre et prédire les comportements, notamment sur les trajets domicile-travail et inversement.

« Contrairement à ce que tout le monde pense, l’arrêt de la Gare n’est pas la station stratégique de Valenciennes mais celui de l’Espace Villars. » Et pour cause, l'étude des données a révélé que la suppression de cet arrêt conduirait de facto à une hausse du trafic de 2 heures ! Une partie de la réponse à cette question crispante de la congestion routière pourrait donc bien se cacher dans l’intelligence artificielle... Avec un constat partagé : il y a urgence.