Santé connectée : outil démocratique d'accès aux soins pour tous ou miroir aux alouettes ?

Tribune libre de Loick Menvielle, professeur à l'Edhec et directeur de la chaire « Management in Innovative Health ».

Publié le 24/02/2023 par Equipe Eco121 / Lecture libre / Temps estimé: 3 minutes

Avec une croissance d’environ 60% par an et un marché estimé à 78 milliards d’euros dans le monde (Statista, 2022), la santé connectée représente un domaine porteur de nombreux espoirs. Il n’est désormais plus rare de voir fleurir bon nombre d’applications santé et bien-être à destination des patients pour les accompagner dans la prise en charge de leur maladie et aboutir à une meilleure gestion de leur quotidien.

Bien que l’on puisse considérer que le numérique constitue un outil facile à appréhender et accessible à tous, il convient de s’interroger sur sa portée réelle, notamment au regard d’un phénomène grandissant : l’illectronisme, qui touche 17 % de la population en France (Insee, 2019)¹, soit près de 13 millions de personnes en difficultéquant à l’appréhension des outils numériques. Il est fort à parier que lorsque l’on met en perspective ces moyens avec le monde de la santé, ce creuset d’inégalités ne peut que favoriser une fracture numérique déjà sous-jacente et augmenter la vulnérabilité sociale des personnes en ne se limitant pas uniquement aux seniors.

Un accès inégal

Le premier baromètre² réalisé en novembre 2022 par l’Edhec Business School et Bristol Myers Squibb, en collaboration avec l’institut IPSOS, nous permet de prendre conscience des défis relatifs au numérique en santé. En effet, l’iniquité d’accès à la santé malgré sa digitalisation constitue l’un des points de vigilance à avoir, notamment pour les personnes les plus à risques de développer des pathologies et qui sont les moins enclines à utiliser la santé connectée, en particulier les ruraux (70%), les plus âgés – 55-74 ans (69%) et les moins diplômés – niveau inférieur au bac (65%). Il s’agit donc de sensibiliser les patients et leur montrer tout l’intérêt d’un recours à ces outils. A ce titre, 64% des Français ne se sentent pas bien informés sur la santé connectée. Ce taux atteint 73% chez les + 45 ans, 69% chez les femmes, 73% chez les ruraux, 79% chez les personnes ayant un accès difficile aux soins et 76% chez les personnes avec un niveau d’éducation inférieur au bac.

Eduquer et accompagner

Car, à l’ère d’une médecine qui se veut adaptable à chaque individu, le défi de cette médecine personnalisable repose sur la capacité du patient à être générateur de données et donc à utiliser ces solutions numériques. De nombreux bénéfices sont bien réels mais se pose la légitime question de l’éducation et de l’accompagnement des patients vis-à- vis des outils numériques. Dans un contexte de quête de sens au sein des professions de santé et plus particu- lièrement chez les soignants, la reva- lorisation de ces métiers est un enjeu central. L’outil numérique devient porteur de sens pour l’ensemble des par- ties prenantes, favorisant l’établisse- ment de liens relationnels renforcés pour viser une meilleure prise en charge et qualité des soins pour les pa- tients. Il appartient donc aux acteurs des territoires, d’investir ces questions hautement légitimes et nécessaires s’ils souhaitent continuer à garantir un accès et une équité de soins au plus grand nombre.

1. Legleyre, S. et Rolland A. (2019). Une per- sonne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numé- riques de base. Rapport INSEE Premiere, N°1780, paru le 30/10/2019, accessible à https://www.insee.fr/fr/statistiques/4241397

2. Longfier L., Nevo M., Menvielle L., Saas F. (2022), Baromètre relatif à la perception des Français vis-à-vis de la santé connectée – EDHEC Business School, Bristol Myers Squibb France, Rapport IPSOS, 44 p. accessible à https://www.edhec.edu/sites/default/files/202 3-01/2023-01-barometre-sante-connectee- edhec-bms-ipsos.pdf