Recrutement : L'infernal casse-tête

Malgré plus de 9% de chomeurs, les entreprises régionales ne parviennent plus à recruter. C'est le premier sujet des conversations entre patrons, le premier frein à la croissance aussi. Les initiatives se multiplient pour fluidifier ce marché sous haute tension.

Publié le 27/09/2021 par Olivier Ducuing / Lecture libre / Temps estimé: 6 minutes

Crédit : Assystem
Crédit : Assystem

Malgré plus de 9% de chomeurs, les entreprises régionales ne parviennent plus à recruter. C'est le premier sujet des conversations entre patrons, le premier frein à la croissance aussi. Les initiatives se multiplient pour fluidifier ce marché sous haute tension.

"Je traverse la rue et je vous trouve un travail ! » Emmanuel Macron avait défrayé la chronique avec sa petite phrase en septembre 2018. Trois ans plus tard, personne ne trouverait plus à redire à la formule jupitérienne tant décriée alors. Il pousse des offres d'emploi comme des champignons après la pluie. Dans notre région aussi : pas moins de 62 000 offres quotidiennes recensées par Pôle Emploi courant septembre, soit 20 000 de plus que la moyenne récente. La situation est très inattendue alors que les meilleurs économistes jugeaient inévitable une vague de chômage.

La reprise économique est non seulement solide, mais même plus riche en emplois que par le passé. « Nous assistons à une véritable vague de recrutements, du jamais vu depuis au moins quinze ans », constatait, presque médusé, Frédéric Danel, nouveau directeur régional de Pôle Emploi, dans une interview à la Voix du Nord le 16 septembre. Avec un effet sensible sur notre courbe de chômage, dont le différentiel avec la moyenne nationale, qui fut longtemps de trois points, s'est amenuisé à 1,3 point de plus seulement. Au deuxième trimestre, le chômage des jeunes s'est même replié de 7%, tandis que le volume global des demandeurs d'emplois s'établissait à 572 600.

Pénurie criante

Même si personne n'avait vu venir cette situation inespérée (lire l'interview de Patrice Pennel, président du Medef Hauts-de-France, page 18), beaucoup aujourd'hui expliquent doctement toutes les raisons qui devaient fatalement générer ces besoins massifs d'emplois : la tendance au circuit court, au made in France, les surcoûts des transports maritimes internationaux, mais aussi des salaires en Asie, les relocalisations industrielles stratégiques, l'efficacité indéniable du plan de relance notamment sur le champ industriel, etc.

Avec un gros demi-million de chômeurs, sans compter le « halo » du chômage – les petits boulots, notamment, on pourrait penser que trouver 62 000 profils à recruter serait une sinécure. C'est tout le contraire. Dans les secteurs à tension de longue date comme l'hôtellerie restauration, ou le digital, la pénurie est criante, alimentée aussi par un turnover qui donne le tournis à bien des dirigeants. « Vous avez une reprise réelle avec une organisation du travail qui change, avec le télétravail et la mobilité nationale. Bien des gens ont décidé avec la crise sanitaire de quitter leur appartement de 20 m2», décrypte Gilles Lechantre, co-fondateur de Cooptalis et président de la commission Talents de la French Tech. Même chose dans l'univers de l'ingénierie. « Les gens n'ont pas bougé pendant deux ans decrise, maintenant oui ! », explique Jérémy Gonce patron d'Elysis. La structure recherche aujourd'hui pas moins de 60 postes à Lille et 30 à Paris... « Je viens de doubler la taille de mon service recrutement », explique-t-il.

Siphonnage du Grand Paris

« Je pourrais recruter 15 personnes. J'ai pris trois personnes en ressources humaines dont un “happiness manager” pour lever les freins. on renonce aux marchés nouveaux car on n'arrive plus à recruter », déplore de son côté Yann Orpin, dirigeant de Cleaning Bio et président du Medef Lille Métropole, alors que les postes proposés dans son entreprise incluent une voiture et un téléphone de fonction, et se situent 10% au-dessus du Smic. Même constat dans le secteur du bâtiment. L'offre quotidienne ressort entre 1 800 et 2 000 postes, indique François Delhaye, président Hauts-de-France de la Fédération du Bâtiment. Outre l'effet de la crise sanitaire qui a désinhibé les projets personnels de mobilité, l'élu patronal pointe le siphonnage des talents régionaux par les groupes en charge du chantier du Grand Paris. « J'ai un ami à Valenciennes qui s'est fait prendre deux conducteurs de travaux, deux chefs de chantier et une dizaine de gars ! », rapporte-t-il.

« Personne ne se présente ! »

D'autres secteurs longtemps assommés par la crise sanitaire repartent à toute allure. C'est le cas de l'événementiel. « J'embauche de tout ! Des chauffeurs, des techniciens, des ingénieurs du son, des tapissiers ! », se félicite Alexis Devillers, président d'Alive Groupe, qui recherchait 30 à 40 postes fin septembre. Dans le monde de la restauration et l'hôtellerie, la valse des turnovers déstabilise la profession. « C'est une véritable catastrophe. Beaucoup d'établissements envisagent de fermer deux voire trois jours par semaine pour combler le manque de personnel. Personne ne se présente! », a alerté sur BFM Lille Olivier Delannoy. Le patron du restaurant Alcide à Lille et porte parole d'un collectif « sauvons nos entreprises », déplore par ailleurs le manque de motivation des publics inscrits à Pole Emploi pour le secteur de la restauration.

« Notre région souffre d’unmanque de travailleurs qualifiéset d’offres d’emploi attractives »,reconnaît Philippe Hourdain,président de la CCI de région, quiveut contribuer à réaligner lesplanètes. « Il est urgent d’adapter nos parcours d’apprentissage aux besoins réels des entreprises. Nous allons pousser le curseur sur les métiers en tension ». La CCI a publié une enquête courant septembre faisant apparaître des difficultés de recrutement pour un tiers des entreprises régionales. Compte tenu de l'ampleur du problème, de grandes rencontres régionales de l'économie seront organisées le 16 novembre sur le sujet. Contrairement aux grandes messes habituelles, nul doute que celle-ci sera particulièrement suivie.

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Un exemple à la loupe

SMG CONFRERE FAIT FEU DE TOUT BOIS POUR RECRUTER

A Saint-Paul (Oise), cette PME spécialisée en métallurgie est confrontée à une pénurie de profils qualifiés. Pour les trouver, elle multiplie les canaux de recrutement et développe les formations internes.

L'industrie est en panne de profils qualifiés. Près de Beauvais, dans l’Oise, SMG Confrère, spécialisée dans la métallurgie, en fait l’amère expérience. Depuis plusieurs mois, elle recherche une dizaine de salariés, laséristes, plieurs, soudeurs et autres poinçonneurs et profils très techniques, de plus en plus rares sur le marché local de l’emploi. Conséquence : «sur 14 plieuses, 8 seulement tournent aujourd’hui », se désespère Gil Sitkiewiez, directeur commercial de l’entreprise. Pour recruter, SMG Confrère, qui emploie une centaine de salariés, fait donc feu de tout bois : Pôle Emploi, agences d’intérim, appels sur les réseaux sociaux et même une dizaine de banderoles le long de la route bordant l’usine. Un déploiement d’énergie qui paie. Le nombre de CV reçus est passé de 5 à 50 par mois. Peu importe s'ils ne correspondent pas toujours au profil de poste, SMG est prêt à former. "Notamment les candidats ayant un profil technique, mais venant d’autres horizons, même s’ils n’ont pas d’expérience ». L’entreprise se dit aussi prête à revoir les niveaux de salaires à la hausse. Pour elle, l’enjeu est majeur. Ces dernières années, SMG Confrère, historiquement spécialisée dans la tôlerie industrielle pour le bâtiment, le machinisme agricole ou l'industrie, s’est diversifiée sur les marchés des cheminées à l’éthanol, de l’éclairage public, de la sonorisation haut-de-gamme ou encore dans équipements pour les bus électriques. «Nous réalisons 15 M€ de chiffre d’affaires, dont 10% avec nos propres produits, les cheminées en particulier. Nos perspectives de croissance sont bonnes », détaille Gil Sitkiewiez, qui craint que ces difficultés de recrutement ne freinent rapidement le développement de l’entreprise. Faute de bras et de cerveaux, elle pourrait n'avoir d'autre choix, à terme, que de refuser des contrats.