Entreprises familiales : l'enjeu crucial de la transmission

Près de 31 000 entreprises des Hauts-de-France projetteraient une transmission d’ici 5 ans. Or cette opération stratégique nécessite un accompagnement sur mesure pour éviter les chausse-trappes. Dans la région, le Conseil supérieur de notariat et l'Edhec vont inaugurer fin novembre une formation dédiée aux notaires sur le passage de témoin au sein des entreprises familiales. Le point avec Rania Labaki, directrice de l'Edhec Family Business Centre et le témoignage de Caroline Poissonnier, co-dirigeante de la société familiale Baudelet Environnement.

Publié le 26/09/2019 par Julie Kiavué / Lecture libre / Temps estimé: 6 minutes

Près de 31 000 entreprises des Hauts-de-France projetteraient une transmission d’ici 5 ans. Or cette opération stratégique nécessite un accompagnement sur mesure pour éviter les chausse-trappes. Dans la région, le Conseil supérieur de notariat et l'Edhec vont inaugurer fin novembre une formation dédiée aux notaires sur le passage de témoin au sein des entreprises familiales.

Le point avec Rania Labaki, professeur associée de finance et d’entreprise familiale, directrice de l'Edhec Family Business Centre et le témoignage de Caroline Poissonnier, co-dirigeante de la société familiale Baudelet Environnement.

Vers qui se tournent les entreprises familiales pour leur transmission ?

Traditionnellement, les dirigeants se tournaient vers leur comptable ou leur notaire. Or la transmission n’implique pas que le patrimoine avec son lot de subtilités fiscales et légales. Il y a aussi la transmission managériale et la gestion des rôles et des attentes, parfois divergentes, des parties prenantes au cours de ce processus - collaborateurs, fournisseurs, clients ou encore d’autres membres de la famille. Aujourd’hui il est possible d’observer une offre croissante de cabinets ou structures de conseil dédiés à ce type d'entreprises. Les banquiers prennent également conscience de l'importance d'un bon accompagnement des entreprises familiales, au quotidien et lors de projets importants comme la transmission.

Quelles sont les bonnes pratiques d'une transmission ?

Prendre son temps. Le processus peut démarrer très tôt. Par exemple, il ne faut pas hésiter à parler de l'entreprise familiale aux enfants dès petits, les amener sur place pour les sociabiliser avec les collaborateurs. Les études montrent que le lien créé sur le long terme entre le futur successeur familial et l’écosystème de l'entreprise n'est pas anodin et joue un rôle dans la réussite du processus. Toutefois, attention à ne pas trop en faire pour ne pas repousser les futurs successeurs. Il faut trouver le bon équilibre.

<img1#right#400/>L'opération implique de la discrétion. Quand et comment communiquer ?

Il faut impliquer toutes les parties prenantes progressivement. Le dirigeant doit anticiper la transmission assez tôt pour prendre le temps d’analyser et d'expliquer les enjeux et les changements à venir. Une communication trop tardive peut engendrer de la méfiance et inhiber le processus d’intégration du futur successeur. Les secrets de famille sont un autre élément à prendre en compte. On les oublie trop souvent ! Ils peuvent être autant créateurs de valeur que destructeurs pour l'entreprise. La discrétion est une particularité bien française. Mais il faut savoir dévoiler les secrets à bon escient. Lorsque les secrets sont toxiques, crever l'abcès peut débloquer nombre de situations pour repartir sur des bases saines.

Le pacte Dutreil a évolué au 1er janvier. Quels sont les grands changements ?

On retrouve par exemple l'exonération partielle des droits de donations à 75% de la valeur des titres, ou actions, transmis. Les donataires ne payeront des droits que sur les 25% restants. Désormais, après le transfert, le ou les donataires s'engagent à conserver leurs titres pendant 4 ans dont au moins un donataire qui exploitera l’entreprise pendant 3 ans après le transfert. Ce qui est un bon point pour la cohésion familiale en lien avec l’entreprise ! Globalement, le pacte a été assoupli avec une réforme favorable. Mais, il ne résout pas tout. De nombreux points ne sont pas pris en compte comme l'aspect émotionnel ou les différences intergénérationnelles. Les réponses peuvent se trouver dans l'accompagnement personnalisé.

D'où la nouvelle formation de l'Edhec consacrée aux notaires... Pourquoi eux ?

Tout part d'un constat : les notaires sont souvent les premiers acteurs sollicités par les dirigeants pour être conseillés en transmission. L’expertise fiscale et juridique est bien sûr nécessaire pour ce type d’accompagnement mais pas suffisante. Des aspects psychologiques et manageriaux viennent s’y greffer. Il existe donc un besoin des notaires d'ameliorer l'accompagnement des dirigeants d'entreprises familiales lors de la transmission. Les dirigeants bénéficieront à leur tour d’une vision plus élargie des notaires afin d’être non seulement accompagnés mais également orientés par ces derniers vers les expertises complémentaires.

La première promotion sera lancée fin novembre à Lille. Comment se déroulera la formation ?

Les participants seront plongés dans les fondamentaux de la gestion, transmission et gouvernance de l'entreprise familiale. On leur propose une approche holistique. Le cycle de formation durera au total 9 jours, découpé en 3 x 3 jours tous les deux mois. Le premier module portera sur des cadres théoriques et outils méthodologiques d’analyse des entreprises familiales. Le second sur la transmission en elle-même, ses déterminants, freins, et indicateurs de succès. Et le dernier sur la gouvernance à la fois d’entreprise et familiale. Les notaires pourront mieux appréhender la transmission, être plus à l'aise sur ce sujet et orienter les questionnements des dirigeants qui vont avec. Dans ce cursus, l'Edhec Family Business Centre apporte ses connaissances à la fois académiques et pratiques tout en les enrichissant des expériences des notaires eux-mêmes.

<img2#left#400/>Baudelet Environnement "Tout l'enjeu estde rester une famille"

Début 2018, Caroline et Jean-Baptiste Poissonnier ont repris la direction de l'entreprise familiale. Une belle aventure qui s'avère un défi quotidien.

Créé en 1920, Baudelet Environnement, spécialisé dans le traitement et la valorisation des déchets à Blaringhem, est un groupe de 3 pôles d'activités, 12 sites et 450 collaborateurs (130 M€ de chiffre d'affaires) en région. A sa tête, Caroline et son frère Jean-Baptiste Poissonnier, aux mannettes depuis un an et demi. Dans l'ensemble, le tableau est plutôt heureux. La transmission s'est faite "naturellement" puisque "prévisible". En effet, la 3e génération a rejoint l'entreprise familiale il y a 10 ans. Caroline comme responsable communication, Jean-Baptiste au poste de responsable filiales puis directeur du pôle fer- railles et métaux. Avant que tous deux soient nommés dg adjoints en 2016. Leur père, Bernard Poissonnier, ancien dg, a pris la présidence.

Coaching mensuel

Pour le montage financier de la cession, la famille s'est appuyée sur un notaire, un conseiller juridique et un avocat. Mais a dû gérer seule le côté humain. "C'est un point qui manque beaucoup dans l'accompagnement d'entre- prise familiale, juge caroline Poissonnier. on a très peu de personnes vers qui se tourner." Si pour son frère le "poids" de la transmission a été simple à gérer, il n'en a pas été de même pour elle. La dirigeante a trouvé le sou- tien et l'écoute nécessaire auprès du réseau dédié aux entreprises familiales, Family Business Network. En parallèle, la vie en entreprise a été ajustée : un déjeuner avec les parents tous les 15 jours pour évoquer les projets d'entreprise et une séance mensuelle avec un coach pour les jeunes gérants pour échanger sur les décisions stratégiques... et les sujets de discorde. "C'est une énergie de chaque instant, admet caroline. ce n'est pas simple tous les jours mais c'est une aventure incroyable". A condition de trouver le bon équilibre.

L'avis du notaire

<img3#left#400/> Me Emmanuel Deramecourt, notaire à Fleubaix

Avant, on ne venait voir son notaire qu'en cas de décès ou lors de l'achat d'un bien immobilier". Pour Me emmanuel Deramecourt, notaire à Fleurbaix, sa profession affiche un retard net par rapport à celles spécialisées dans l'accompagnement des dirigeants, surtout pour la transmission de leur entreprise.

Les notaires veulent changer de dimension, muscler leur clientèle. "Hors contrat de mariage, donations de titres ou testaments, notre métier implique aussi du conseil. Il est grand temps de le faire savoir", estime Me Deramecourt. Le sujet est même étudié de très près par l'INeS - l'institut notarial des entreprises et des sociétés, en charge de la promotion du droit de l'entreprise et du conseil au chef d'entreprise.

Il collabore avec les experts comptables, les chambres consulaires et les divers réseaux de conseil et d'assistance à la cession - reprise d'entreprise. Selon son président David Mennetret, "il est indispensable que les notaires de France abordent ces nouveaux rivages du conseil aux chefs d'entreprise et du droit des affaires par la formation et la spécialisation".