Comment le Louvre-Lens a dynamisé tout un territoire

Eco121 a relancé son cycle de tables-rondes thématiques dans les territoires, au Louvre-Lens, le 28 mai avec pour sujet «Comment cristalliser une vraie dynamique économique autour d’un équipement structurant».

Publié le 27/06/2024 par Yann Suty / Lecture libre / Temps estimé: 6 minutes

Photo : Emmanuel Watteau
Photo : Emmanuel Watteau

Eco121 a relancé son cycle de tables-rondes thématiques dans les territoires, au Louvre-Lens, le 28 mai avec pour sujet « Comment cristalliser une vraie dynamique économique autour d’un équipement structurant». L’événement s’est déroulé en compagnie d’Annabelle Ténèze, la directrice du musée, de Sylvain Robert, le maire de Lens et président de la Communauté d'Agglo de Lens Liévin (CALL), de Jean-François Campion, le directeur général de Maisons & Cités, et de Pierre Forgereau, le directeur régional de Veolia Eau France, membre du cercle des mécènes.

L’implantation du Louvre à Lens avait tout d’un défi improbable, dans un territoire en difficulté et dé- pourvu d'appétit culturel. Douze ans plus tard, le pari est gagné. Le Louvre-Lens attire près de 500 000 visiteurs chaque année, ce qui le place dans le top 3 des musées de province, aux côtés de Confluences à Lyon et du Mucem à Marseille. Avec un bassin de population nettement moins important. « On a réalisé ici quelque chose de difficilement imaginable », s’enthousiasme Jean-François Campion, le directeur général de Maisons &Cités. « On n’osait pas forcément rêver de ce type de structure, souligne Sylvain Robert, arrivé à la mairie de Lens en 2013. Le Louvre-Lens a été le point de départ d’un changement. Il a permis de penser différemment l’aménagement de la ville. C’est devenu une vitrine, au même titre que le Racing Club de Lens. Il accompagne tout le territoire, donne de l’impulsion et de la visibilité. »

Réhabilitation urbaine

Pour Annabelle Ténèze, directrice du Louvre-Lens depuis juillet dernier, cesuccès s’explique d’abord par un « choc de coopération » entre les collectivités, l’Etat, les entreprises et les habitants. Il a servi de moteur à une gigantesque réhabilitation urbaine, qui s’étend jusqu’à la gare et comprend aussi le centre aquatique et Louvre Lens Vallée. « Avant, c’était un lieu industriel et fermé, entre terrils et corons. C’est devenu un lieu de vie ouvert, dans un parc de 22 ha accessible à tous. »

« Sans le Louvre-Lens, il n’y aurait pas eu d’hôtel et de densification urbaine », renchérit Jean-François Campion. Autour du musée, près de 170 logements ont été construits ou réhabilités par le bailleur Maison & Cité. Le tiers-lieu La Maison du 9 a aussi été créé. Un autre tiers-lieu est en projet, avec une crèche et une épicerie solidaire. Le groupe, qui est l’un des mécènes-bâtisseurs du musée, est également le propriétaire de de l’hôtel quatre étoiles Louvre-Lens, situé juste en face du musée, exploité par Esprit de France.

« C’est un projet en avance sur son temps, estime Pierre Forgereau, le directeur régional de Véolia. Le Louvre-Lens a anticipé les effets du réchauffement climatique il y a quinze ans. Son parc est une illustration du verdissement des villes, mais aussi du vert en ville. C’est un îlot de fraîcheur où les habitants viennent se retrouver l’été. Tout le reste de l’année, il est aussi très utilisé. »

Un musée social

Les initiateurs du musée recherchaient un « effet Guggenheim », en référence au musée du même nom de Bilbao, qu'une délégation régionale avait d'ailleurs visité. Comme dans la cité basque, il s’agissait d’implanter un équipement culturel dans une ville industrielle, en espérant des retombées économiques. Pour les intervenants de la table-ronde, il s’agissait d’une erreur de lecture. « Le Guggenheim est la cerise sur le gâteau pour une ville qui avait d’abord redéveloppé son industrie et son tourisme, estime Annabelle Ténèze. Le calendrier du Louvre-Lens n’est pas le même. Le musée est le début d’un processus. A Bilbao, on était dans l’appropriation d’une marque privée et américaine, alors qu’à Lens, on est dans l’idée d’un mu- sée éducatif. Même si on a beaucoup de touristes, on mise d’abord sur le développement personnel en local. C’est un modèle de musée social. » « Bilbao nous a surtout montré qu’un territoire doit se prendre en main, complète Sylvain Robert. Le Louvre-Lens a été le prétexte, il a permis d’accélérer de nombreux projets, comme ceux concernant la mobilité. » Parmi les projets susceptibles d’être un relais de croissance territoriale figure le Stade Bollaert. Il pourrait connaître une nouvelle impulsion, le RC Lens étant candidat à son rachat auprès de la mairie.

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Le Louvre-Lens cultive sa singularité. C’est un lieu que les habitants ont su s’approprier, au point qu’Annabelle Ténèze le qualifie de « musée national des habitants». « En France, on a tendance à confondre institution nationale et parisienne. Ici, ce sont des collections nationales, mais qui se co-construisent. C’est un musée singulier, dans lequel on peut expérimenter beaucoup, et qui bénéficie à plus large que soi », poursuit-elle. De nombreux enfants fréquentent le musée (90 000 par an). Des femmes de Liévin ont créé une œuvre qui est exposée dans le parc. Dans la nouvelle Galerie du temps, qui sera dévoilée dans quelques mois, une partie des cartels seront écrits en collaboration avec des locaux (avec une école de métallurgie ou le centre social). « On aura réussi le musée quand on laissera des visiteurs guider d’autresvisiteurs. » « Le musée, c’est aussi cette petite dentelle avec tous les habitants du quartier », résume Jean-François Campion

Selon Pierre Forgereau, le musée fait aussi la différence par sa gestion du temps. « Le développement d’un territoire nécessite du temps, et pas un rythme accéléré. Les sujets viennent petit à petit et ils sont construits avec humilité. » De temps à autre, des événements majeurs apportent de l’animation, à l’instar de la Route du Louvre, l’un des quatre marathons des Hauts-de-France. « On avance à la fois grâce à des petites démarches et à des événements majeurs. »

Perception des habitants

La réussite du musée se mesure aussi aux changement de regard des habitants sur leur ville. « Quand on a commencé à parler de développement économique, de tourisme, ça a permis de changer le regard des habitants », se souvient Sylvain Robert. Et d’accélérer sur d’autres projets. « Les autres communes de l’agglomération se sont rassemblées autour de cet équipement, poursuit l’édile. C’est un changement structurel de notre territoire. Avant, on parlait de la fermeture de la mine plutôt que du rebond. Maintenant, on parle du vivant, de l’avenir. »

« Il y a un sentiment d’appartenance très marqué », indique Annabelle Ténèze. « C’est une autre approche de la culture, ajoute Sylvain Robert. Avant, il y avait une certaine distance. Aujourd’hui, le musée ne fait plus débat. Le musée n’est pas resté en vase clos. Il a adapté son concept à son environnement. Il reste ouvert. »

« Aujourd'hui, Lens est une vraie marque, affirme Sylvain Robert. On le doit au Louvre-Lens, au Racing, mais aussi au Centre de recherche en informatique (CRIL). La ville commence à être identifiée comme une destination touristique. »

Le Louvre-Lens en chiffres

  • 5,7 millions d’entrées depuis l’ouverture

  • 500 000 entrées par an

  • 2e musée le plus visité en région

  • 90 000 scolaires par an

  • 75% des visiteurs du musée viennent des Hauts-de-France

  • 300 000 Lensois accueillis en dix ans pour une ville de 30 000 habitants

  • 30 partenariats de fond sur le territoire