Universités régionales : l’urgence du rebond

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France


 

 

La voix est grave, le propos lourd. La scène se tient le 21 mai dernier, dans l’ambiance feutrée du conseil régional. Son président, Daniel Percheron, avertit les élus : le Nord-Pas-de-Calais est « au bord du gouffre », en raison de la contre-performance de ses universités. Le programme d’investissements d’avenir (PIA) valorise des grands pôles régionaux, autour des « Idex » (initiatives d’excellence). Or, Lille n’a pas réussi à entrer dans ce club très fermé. Et les universités franciliennes ont absorbé en cinq ans 7,5 milliards d’euros de crédits d’État, soit « trente fois plus » que les six universités régionales. L’élu socialiste redoute « un largage définitif par rapport au dynamisme global de la France ».

Le tableau, très noir, peut être nuancé. La région a tout de même réussi à se distinguer dans d’autres appels à projets du PIA. « Elle a obtenu un institut de recherche technologique, sept laboratoires d’excellence, onze équipements d’excellence, une société d'accélération de transfert de technologie, deux infrastructures nationales en biologie-santé, un institut d'excellence dans les énergies décarbonées, donnant l'image d'une région qui s'accroche, qui en veut », remarquait au printemps Dominique Bur, le préfet de région.

Fil rouge

Derrière ces réussites ponctuelles,reste cependant difficile de discerner une stratégie globale. Avec ses six universités publiques, la « Catho » et de nombreuses grandes écoles, la région est très fragmentée. Peut-être pour ne fâcher personne, elle peine à dégager des points d’excellence. « Nous avons besoin de définir une vision régionale : ce fil rouge nous a manqué pour gagner l’Idex », Mohamed Ourak, président de l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC).

Au cours des dernières années, la région a souvent paru déboussolée. Lors du « plan campus », Lille 1, Lille 2 et Lille 3 - dont le dossier a été repêché in extremis fin 2008 – s’engagent à se regrouper… Pour finalement abandonner l’idée en rase campagne en 2010, lançant une réflexion sur une université régionale unique. Résultat : début 2011, un premier projet d’« Idex » est présenté par les six universités publiques, sous l’étendard du PRES « Université Lille Nord de France » (1). Il essuie une fin de non recevoir. Un deuxième appel à projets paraît. Et les présidents des trois universités lilloises décident de faire cavalier seul… remettant au goût du jour leur idée de confédération. Avertis tardivement, leurs collègues de l’Artois, du Littoral et de Valenciennes ne cachent pas leur fureur. Ambiance…

Valse-hésitation

Fin 2011 : « Game Over ». Le jury international chargé de l’évaluation du dossier estime poliment que « Lille est une place scientifique de bon niveau en France qui bénéficie d'un soutien fort de sa région et de son industrie locale ». Mais ajoute qu’elle « n'a pas encore démontré un niveau d'ambition scientifique qui propulserait l'université au niveau international attendu pour l'idex ». La grande faiblesse du dossier réside dans la gouvernance : le schéma proposé ne convainc personne. « C’était un morceau de bravoure, un sommet de complexité », ironise un président.

Malgré les faux-semblants, les tensions sont vives. Seul point d’accord entre les acteurs locaux : le Nord-Pas-de-Calais souffrait d’un handicap de départ important, lié à un potentiel de recherche insuffisant. La région compte par exemple deux fois moins de chercheurs dans le secteur public que le Languedoc-Roussillon. Elle pâtit aussi du manque d’appétence du privé pour la recherche : l’effort de R&D (0,75%) est très loin de la moyenne nationale (2,09%) et de l’objectif européen de 3%. Le dialogue entre les entreprises et les laboratoires est encore insuffisant (lire Verbatim).

Arrêter la machine à perdre

Certes, le gouvernement Ayrault a prévu d’engager une politique de correction des inégalités régionales. Mais il faut d’abord assainir les finances publiques : les fonds risquent de mettre du temps à arriver... Alors, en attendant cette hypothétique bouffée d’air frais, comment arrêter la machine à perdre ? La question hante élus et responsables universitaires. Sandrine Rousseau, vice-présidente du conseil régional, a travaillé tout l’été sur un schéma régional de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (lire l’entretien ci-contre). Les élections qui viennent d’avoir lieu dans les universités devraient lui faciliter la tâche.

Car les six présidents ont compris qu’ils devaient s’entendre sur une perspective commune – et s’y tenir. Roger Durand, président de l’université du Littoral Côte d’Opale (Ulco), propose une « restructuration » autour d’universités en « réseau ». Francis Marcoin, élu à l’université d’Artois, veut bâtir « une offre de formation et de recherche concertée ». « Mieux vaut travailler sur un nombre limité de dossiers, mais bien travailler », recommande pour sa part Mohamed Ourak. Les trois universités périphériques jouent à fond la carte régionale.

Justement, quid du projet d’université unique lilloise ? Le serpent de mer refera-t-il surface ? Réélu, le président de Lille 1, Philippe Rollet, continue à y croire. La nouvelle présidente de Lille 3, Fabienne Blaise, y est aussi favorable, à condition d’en revoir profondément la manière. Mais ce projet se heurte à la franche opposition du nouveau président de Lille 2, Xavier Vandendriessche. « Je suis hostile à ce processus qui privilégie l’approche institutionnelle au détriment de projets concrets : nous devrions plutôt aborder les questions de fond, sur les masters, le doctorat ou la recherche », affirme-t-il. Quelle que soit l’option retenue, les universités du Nord-Pas-de-Calais vont devoir afficher une stratégie claire, si elles veulent éviter de tomber au fond « du gouffre »…

 

(1) Le pôle de recherche et d’enseignement supérieur, fondé en janvier 2009, regroupe trente établissements de la région : universités, grandes écoles, organismes de recherche, Crous. Les collectivités territoriales y siègent.

 

Sandrine Rousseau : « Les prochains mois seront décisifs »

 

La vice-présidente (EELV) du conseil régional en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche travaille sur une stratégie commune avec les autres collectivités. Objectif : optimiser le soutien aux universités.

Les universités de la région, mal dotées dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA), peuvent-elles encore tirer leur épingle du jeu ?

Sandrine Rousseau. Elles sont victimes d’un retard de financement structurel dans le domaine de la recherche. La politique mise en place en 2007 a accentué ce phénomène en concentrant les financements sur quelques pôles en France. Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de rester dans la course. Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour : soit la région rattrape le train en urgence, avec l’appui de l’É, soit elle décroche de manière importante. Les prochains mois seront décisifs.

Le plan campus et le PIA dépendaient de jurys internationaux. Les universités n’ont-elles pas été jugées sur la qualité de leurs projets ?

S.R. Je ne crois pas que le financement d’un service public puisse reposer sur la base d’un concours : l’université et la recherche ne se gèrent pas comme l’Eurovision ! Ensuite, les résultats sont troublants : les sites les mieux dotés sont ceux qui avaient déjà le plus grand nombre de chercheurs CNRS. L’Ile-de-France a été particulièrement bien servie. Le Nord-Pas-de-Calais a donc été victime de la double peine : comme l’État n’y a pas installé de grands organismes de recherche, notre région n’avait pas les mêmes chances de départ.

La région n’a-t-elle pas aussi été victime de ses divisions internes ?

S.R. Il est vrai que le paysage universitaire très complexe de la région n’a pas permis de définir une stratégie extrêmement claire. Mais cela va changer. Ceux qui arrivent aux responsabilités aujourd’hui doivent clarifier les objectifs et se donner les moyens de les atteindre. Les collectivités territoriales doivent quant à elles repenser leur engagement en coordonnant leurs interventions : c’est l’objectif des Assises organisées par la région, qui ont rassemblé plus d’un millier de personnes en un an. Cette concertation va nourrir la feuille de route des collectivités locales : un schéma régional qui devrait nous aider à mobiliser les fonds européens pour les quatre prochaines années.

 

« Il faut brancher l’université sur le monde réel »

Thierry Lepers, secrétaire général du Medef, a représenté le comité Grand Lille de 2008 à 2012 au sein du conseil d’administration de Lille 1.

« Le président de Lille 1 m’a demandé de participer au CA, pour représenter le monde de l’entreprise et apporter la vision du développement territorial véhiculé par le comité Grand Lille. Si j’ai toujours pu m’exprimer, je suis souvent passé pour le suppôt du méchant patronat dans cette université qui reste une citadelle de gauche. J’ai dû ferrailler pour défendre certaines réformes du gouvernement, comme la liberté donnée à l’université de gérer son budget. Ce qui pêche encore, c’est le peu de relations entre les entreprises et les labos. Il faut brancher l’université sur le monde réel ! »

François Bourgin préside Formasup (le CFA du supérieur) et Adrinord (association pour la recherche et l’innovation). Il est élu au CA de Lille 3, après l’avoir été à Lille 1 et Lille 2.

« Il y a encore du chemin à faire pour rapprocher universités et entreprises. Depuis dix ans, il y a une avancée très nette dans la perception réciproque de ces deux mondes : des réseaux se constituent, les personnes apprennent à se connaître. Mais il faut maintenant entrer dans le dur. Il y un an et demi, nous avons essayé de créer un club universités-entreprises au niveau régional, pour échanger davantage, mais il est difficile de le faire tourner. C’est sans doute au travers de projets précis qu’on pourra avancer, par exemple en réfléchissant à l’accueil des doctorants dans les entreprises, à la qualité des stages ou à la sensibilisation à l’entrepreneuriat. »

 


Texte Sylvain Marcelli

Photos Sébastien Jarry

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