Transmission : attention urgence !

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

Attention urgence ! 26% des entreprises de la région ont un dirigeant de 55 ans et plus, ce qui représente... 280 000 salariés. L'équivalent du département de l'Aube ou des Ardennes... L'enjeu ne paraît pas pour autant bouleverser les consciences régionales. Or il est beaucoup plus facile de prolonger voire de développer une entreprise existante que d'en créer une nouvelle, particulièrement dans le contexte d'extrême incertitude qui caractérise la période.


• Les reprises ont chuté d'un tiers entre 2007 et 2009
• 278 000 salariés de la région ont un dirigeant de plus de 55 ans
• 200 entreprises entre 10 et 500 salariés à vendre chaque année
• 150 repreneurs actifs

Même si le critère démographique n'est pas absolu, comme le souligne Florent Guigue, du cabinet Emergeances (lire plus loin), il n'en est pas moins incontournable.
La création d'entreprise est au coeur des préoccupations régionales depuis une dizaine d'années. Les efforts de sensibilisation, d'accompagnement, d'information, jusqu'à d'ambitieuses campagnes TV ont porté leurs fruits : la région a su combler une bonne partie du retard, lié à une tradition de salariat de masse peu propice à l'esprit d'entreprendre.
Mais dans l'acronyme PRCTE* désormais bien ancré dans la tête des décideurs, n'a-t-on pas oublié le " T " de transmission ?

"L'information déstabilise"

"Un repreneur est un créateur", corrige Laurent Degroote, vice-président de la CCI de région et créateur il y a cinq ans du salon Créer avec Pierre de Saintignon. "Mais la reprise-transmission ne s'aborde pas de la même façon. La transmission est nécessairement empreinte d'une grande discrétion, hormis quelques cas dans le commerce où l'on peut informer de la vente d'un fonds. Mais pour une entreprise, dès que l'information est publiée, elle perd de la valeur, les clients n'ont plus confiance, les fournisseurs partent. Et la cession a aussi un impact social."

C'est sans nul doute cette caractéristique vertébrale de la transmission qui complique toute politique globale dans un univers où chaque cas est particulier. "La diffusion d'information en masse pour trouver un repreneur n'est pas le bon canal pour moi. Et ce n'est pas parce qu'on a mis une annonce qu'on trouvera. Un projet ne doit pas se dévoiler tant que l'opération n'est pas faite, car l'information déstabilise", expose Nestor Dewitte, dirigeant de Nord Transmission, organisme incontournable pour les passages de témoin des entreprises de 10 à 300 salariés. La structure a accompagné plus de 300 cessions depuis sa création il y a 26 ans, et en avait encore mené à bien sept à fin juillet.

Recul préoccupant

Pour autant, le niveau des transmissions-reprises connaît depuis trois ans un recul inquiétant de 33% : après un pic de 3 026 reprises enregistrées en 2007 par les centres de formalités, le niveau est tombé à 2 603 en 2008, avant de dégringoler à 2 016 en 2009. Sans que les responsables publics ne s'emparent de cette problématique. "On parle beaucoup création, et on occulte un peu le thème de la transmission. C'est une erreur assez grave", regrette Bernard Bryselbout, président de l'ordre des experts-comptables de la région, qui ne mâche pas ses mots.

"La transmission ne peut être réussie que si elle est anticipée", Bernard Bryselbout, président de l'Ordre des experts-comptables en région

Le représentant des hommes du chiffre relève que, dans sa propre profession, 50% des experts-comptables français ont plus de 50 ans. Mais il souligne surtout le caractère stratégique que peut revêtir la transmission. D'une contrainte, il est possible de créer une opportunité, estime-t-il. "La caractéristique des entreprises françaises est qu'elles sont majoritairement des Tpe ou des Pme. Or nous avons un défi à relever, celui de faire croître la taille des entreprises pour qu'elles puissent mieux résister à la concurrence internationale. Ce sera le défi de demain." En ligne de mire, la constitution de ces fameuses ETI, entreprises de taille intermédiaire, qui manquent tant à la France et offrent à l'Allemagne une ossature économique si performante.

Attentisme

"La crise a envoyé un gros pavé dans la mare des transmissions en créant un fort attentisme. Or certains, à force d'attendre, ont rencontré des difficultés et les entreprises n'étaient plus vendables. La crise produit encore ses effets aujourd'hui", décrypte Isabelle Leprêtre, directrice du Bureau de reprise des entreprises (BRE), structure innovante créée en 1977 et copiée depuis par d'autres CCI régionales. Un projet de portail national est d'ailleurs sur le métier, mais le fonctionnement est pour l'heure purement régional, avec notamment une publication mensuelle d'un bulletin d'opportunités avec La Gazette Nord-Pas-de-Calais mais aussi un outil commun avec la Chambre de métiers, Transcommerce-Transartisanat. Le dispositif est d'abord un organe de mise en relation, travail peu visible mais essentiel pour l'instauration de la confiance. "Certains ont été échaudés par des techniques de certains nationaux, de prestataires qui font de l'approche directe en prétendant trouver très vite un repreneur. Certains se laissent avoir, et nous avons bien du mal ensuite à les convaincre de revenir dans un processus de cession", déplore Isabelle Leprêtre.

Pourtant, le nombre de repreneurs est supérieur à celui des cédants. Mais ils se positionnent davantage sur les Pme que sur les Tpe. De nombreux fonds de commerce, bien que rentables, ne trouvent pas de repreneurs dans certaines professions, comme les métiers de bouche ou le secteur des cafés-hôtels-restaurants (CHR). "Nous avons 1 400 annonces et un déficit de repreneurs en face", confirme la directrice du BRE, qui souligne l'acuité encore plus grande du problème en zone rurale.

Parfois les repreneurs sont bien là mais l'octroi de financements est plus parcimonieux en temps de crise. Ce qui n'empêche pas certains de se positionner clairement sur ce marché : la Caisse d'Epargne Nord France Europe a étrenné l'an dernier une journée de la transmission à Euratechnologies, et reconduit sa formule de rencontre cédants-repreneurs cette année (le 13 octobre, inscriptions sur www.journeedelatransmission.fr). "Nous voulons nous positionner comme une banque de référence sur tous les besoins de nos clients entreprises, notamment au moment clé de la transmission, qu'il s'agisse du cédant ou du repreneur", souligne Pascale Sciacaluga, directrice marketing à l'Ecureuil Nord France Europe.

"Créer une offre cohérente"

Comment mobiliser les esprits comme en matière de création ? "Aujourd'hui nous avons des outils hérités du passé, mais qui ne sont plus adaptés. Le BRE, Transcommerce-Transartisanat, l'appui aux business angels, chacun travaille de son côté. Il y a beaucoup d'acteurs, il est important d'y mettre une offre cohérente pour les repreneurs", plaide Laurent Degroote qui, après avoir produit un rapport remarqué sur l'entrepreneuriat, prépare un schéma sectoriel de la CCIR sur l'axe reprise-transmission. Il doit être adopté en décembre. Une réponse pluridisciplinaire est également en cours, pour sécuriser au maximum les acteurs, la transmission touchant à de nombreux enjeux, y compris patrimoniaux. "Le cédant vend son passé, le repreneur achète l'avenir, ça doit se concilier", souligne Bernard Bryselbout. Les avocats conseils d'entreprises devraient rejoindre fin 2011 ou début 2012 la politique régionale "Objectif PME", qui associe déjà notaires et experts-comptables, pour promouvoir l'idée de constituer 2 000 entreprises à fort potentiel. Un premier pas indispensable. Pas sûr qu'il soit suffisant.


* PRCTE : Programme régional de création et transmission d'entreprises.


JEAN-PAUL LAURENT, cédant de la société Debedia*
"C'est cher, mais terriblement efficace"

Quand on est dans la soixantaine avancée – j'ai 62 ans –, c'est nécessaire de préparer la transmission, à partir du moment où je n'avais pas d'enfant souhaitant reprendre. Je pensais à ce projet depuis trois ou quatre ans. J'ai réfléchi à une cession à un cadre supérieur, mais cela a échoué pour des raisons d'ordre privé. J'en ai parlé à notre expert-comptable qui m'a mis en garde sur le fait que le processus était très long et m'a encouragé à contacter Nord Transmission. Je me suis retrouvé dans un milieu de spécialistes de la cession, dont je n'avais jamais envisagé la complexité.
J'ai rencontré une vingtaine de repreneurs potentiels, d'horizons très différents. Mais beaucoup se sont arrêtés face au manque de connaissance de la fabrication d'abrasifs. La vente a finalement abouti auprès d'un de mes concurrents. Je vais travailler avec lui en septembre et je reste à sa disposition. Mais cela aurait été différent si la cession s'était réalisée auprès d'une personne physique, auquel cas il faut un accompagnement pendant 3 à 6 mois, absolument nécessaire pour la mise en place du nouveau dirigeant.
Passer par un spécialiste vaut le coût, même si pour moi c'est presque 90 K€. C'est cher mais terriblement efficace !

*Debedia distribue des machines et consommables pour le travail du granit et du marbre (Villeneuve-d'Ascq, 9 salariés, CA de 1,2 M€).

DIDIER HAZEBROUCK, associé de Grant Thornton Nord-Pas-de-Calais
"Une réflexion très insuffisante chez les Tpe et Pme"


Les obstacles à la transmission sont nombreux. D'abord, toutes les entreprises ne peuvent pas être transmises. Outre l'endettement éventuel de la structure à transmettre et les investissements futurs à réaliser, il faut que celle-ci génère dans l'avenir suffisamment de cash et de résultat afin de permettre le remboursement de la dette liée à l'acquisition et assurer la rentabilité des capitaux investis. De nombreuses Tpe ne remplissent pas ce critère et s'avèrent invendables et donc non transmissibles. Par ailleurs, le dirigeant qui souhaite vendre son entreprise peut se faire une fausse idée de la valorisation, en se basant par exemple sur le comparatif transactionnel. Or la valeur de l'entreprise dépend de très nombreux éléments, dont la capacité du dirigeant à s'en retirer et donc à transmettre, sans remettre en cause le bon fonctionnement et l'activité de celle-ci.
Ensuite, il y a des difficultés psychologiques à la transmission. L'entreprise constitue fréquemment un actif sentimental important, pour l'entrepreneur voire pour sa famille, quelquefois créé sur plusieurs générations. S'en détacher, c'est un peu délaisser un enfant ou un bien familial ! Mais trop retarder une transmission peut être préjudiciable à l'entreprise.

"Intégrer la transmission à la stratégie d'entreprise"

La transmission ou la succession restent toujours un sujet délicat. La présentation des comptes, lorsque le dirigeant atteint un certain âge, ou un changement de législation sont des moments opportuns à cette réflexion, mais celle-ci devrait être plus fréquente car elle influe directement sur le développement de l'entreprise. Elle entre donc pleinement dans le cadre de la réflexion stratégique de l'entrepreneur, réflexion souvent très insuffisante au niveau des Tpe et Pme. Et puis le cédant craint l'absence d'activité post-cession.
Une autre source de complications à la transmission est la présence d'actionnaires ou associés minoritaires au capital. En l'absence de pacte d'associé – ce qui reste fréquent –, la transmission peut être bloquée par un minoritaire qu'on ne peut contraindre à céder, l'acquéreur souhaitant généralement obtenir 100% du capital.
La fiscalité s'est certes alourdie encore récemment. Si l'opération est réalisée intelligemment et suffisamment tôt, le coût peut être très limité. Mais encore faut-il intégrer la situation actuelle et future du patrimoine personnel du ou des cédants !
Le dirigeant doit savoir que le processus de vente et de transmission est très lourd et très compliqué, même après avoir choisi l'acquéreur, lorsqu'il y a plusieurs prétendants. Il est déjà arrivé qu'on soit au closing avec le chèque et qu'au dernier moment le cédant ne cède plus !
Le rachat par le management est une bonne solution, mais on ne la rencontre pas suffisamment, faute de capacité financière suffisante de ces derniers, même si des solutions existent.

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