Thrombose routière : à quand l'asphyxie économique ?

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

 

Dossier : Christian Jilcot. Photos : Sébastien Jarry.

 

Vendredi 26 mars 2010, 4 heures du matin. Un camion de porcs vivants se renverse à la jonction des autoroutes A1 et A25. Sept heures plus tard, le problème est enfin résolu… après un total de 70 km de bouchons aux entrées de Lille.

L’accident n’est heureusement pas courant. Mais il illustre bien la saturation des accès routiers de l’agglo aux heures de pointes. « On est toujours sur la corde raide, reconnaît la Direction interdépartementale des routes (DIR) Nord. Au moindre pépin, c’est le bazar. » Chaque jour ouvré, 350 000 véhicules convergent vers Lille. Tous les accès sont concernés mais c’est sur l’autoroute A1 (170 000 véhicules/jour ) que le problème est le plus crucial.

Sur cet axe, la capacité maximale (et non pas nominale) de l’autoroute est dépassée, de plus de 50% parfois, durant trois heures, le matin et le soir. Un phénomène qui, selon la DREAL, progresse chaque année de 8 minutes. Le trafic augmentant en moyenne de 2% par an.

Cause principale de ces encombrements : le trafic interne à la région, notamment les déplacements domicile – travail. Selon la DIR Nord, le transit ne pèse que 32% du total (55 000 véhicules/jour à Fresnes-lès-Montauban) et celui des poids lourds « que » 18%.

 

200 ha de zones d’activités gelées

Rendez-vous décalés ou annulés, plannings et tournées perturbés, équipes à l’arrêt en attente de matières premières… la situation n’est pas sans conséquences néfastes pour les entreprises. Premières victimes, celles de transport, surtout dans la messagerie. Le transporteur doit garantir le délai de livraison, explique Olivier Arrigault, secrétaire général de la FNTR. Pour livrer à Lille, il fait démarrer ses chauffeurs plus tôt. D’où un surcoût dont une partie seulement est incluse dans le prix du transport.

C’en est au point que des entreprises du secteur se délocalisent. Spécialisées en longue distance ou en logistique, elles ont intérêt à se positionner au sud de la métropole ou de l’aire métropolitaine. Voire au-delà. Olivier Arrigault cite Load Transport, parti de Roubaix pour Lesquin, ou les transports Navaux émigrés de Lesquin à Carvin.

Là ne réside pas la seule nuisance à l’attractivité de l’agglomération. Pour Philippe Hourdain, président de la CCI Grand Lille, la congestion routière gèle 200 ha de zones d’activités prévues au sud de Lille, le long de l’A1. Elle compromet la place que l’agglomération peut prendre dans le développement de la logistique régionale alors même que son rôle de carrefour devrait lui offrir un avenir doré. Elle remet en cause sa vocation historique de métropole marchande, axe stratégique pour la CCIGL.

 

Pôles d’échange, tram-train…

Y a-t-il des solutions ? Les projets ne manquent pas. Très volontariste dans le domaine ferroviaire, le Conseil régional s’implique financièrement dans des opérations lourdes comme l’augmentation d'un tiers des capacités de la gare Lille Flandre (en cours), ou la multiplication près des gares de pôles d’échanges entre modes de transport routier et ferroviaire. Outre le projet encore lointain de RER (cf. encadré), elle a aussi fait mettre à l’étude la modernisation de Lens-Lille via Don-Sainghin pour pallier la saturation de l’itinéraire par Douai.

De son côté, Lille Métropole pilote à l’échelle de l’agglo un projet de tram-train. Le système permettrait de relier le centre de Lille à Wambrechies et, au-delà, Comines au nord ainsi qu’à Haubourdin à l’ouest et à Seclin au sud.

S’ils se réalisent, ces projets risquent toutefois de s’avérer insuffisants. 90% des déplacements Lille-bassin minier se font en voiture et 10% en train. Même le doublement de la fréquentation des TER, visé pour 2020, ne réglera donc pas tous les problèmes.

 

Profonds clivages

D’où les nouveaux investissements routiers que réclame à cor et à cri le monde économique (lire encadré). A commencer par celui jugé le plus urgent : le contournement sud-est de Lille (CSEL pour les initiés), véritable pontage coronarien qui écarterait des portes de la ville une bonne partie du trafic de transit.

On n’a toutefois pas fini d’attendre la réalisation de ces projets. L’ouverture de la première ligne du réseau de tram-train (560 M€ au total pour 27 km) est pour 2019. Le RER, s’il se construit, ne sera pas opérationnel avant 2020 et le CSEL avant 2022 !

D'autant plus que de profonds clivages divisent les décideurs locaux. Les Verts, partie prenante aux exécutifs régional et communautaire, ne veulent pas entendre parler d’infrastructures routières lourdes ; les élus du sud métropolitain sont opposés au tracé du CSEL et militent pour un passage plus au sud. La relance du projet de RER par le président du Conseil régional a été accueillie par une bordée de critiques. L’unanimité pour lancer les études n’a été obtenue qu’à la condition d’y inclure également l’hypothèse d’une modernisation des lignes existantes.

D’où l’exaspération du monde économique et l’appel lancé il y a un an par la CCI de région : « Nous ne pouvons plus nous permettre l’atomisation des réflexions, initiatives et projets, en subissant les oppositions d’intérêts locaux et l’absence de décisions qui en résulte. »

 

Paralysie totale ?

Il y a en effet urgence. Si rien n’est fait, dans cinq ou six ans, c’est la paralysie totale, a déclaré en substance le nouveau préfet de région devant témoins. Faute de respecter cette échéance, ne resteraient que des mesures de régulation pour réduire la congestion : de l’étalement des heures de livraison, comme il en est question au sein de la communauté urbaine, à la limitation de l’accès aux autoroutes aux heures de pointes, comme la DIR Nord l'étudie.

Du coté du monde économique, on exclut de moins en moins le recours au péage urbain, comme le permet la loi Grenelle II. D’autant que l’Etat et les collectivités locales éprouveront les pires difficultés à régler les 350 M€ de facture du CSEL. « Un péage intelligent, plaide Philippe Hourdain dans la foulée de son prédécesseur, Bruno Bonduelle, c’est à dire automatique, d’un coût faible et comprenant de larges plages de gratuité hors heures de pointe. »

La mesure n’en est pas moins confiscatoire pour tous ceux qui n’ont pas d’autre choix que la voiture et discriminatoire pour les moins fortunés d’entre eux. Mais c’est le prix à payer pour plus de 15 ans d’inertie en matière d’investissements routiers.

 

Les urgences routière du monde économique

  • le contournement sud-est de Lille (CSEL), barreau de 9 km reliant directement l’A1, depuis Seclin, aux autoroutes A23 et A27
  • la mise à 2 x 2 voies des 6 km connectant l’A25 à la RN58 belge afin de soulager la rocade nord-ouest et de développer les échanges transfrontaliers
  • l’élargissement à 2 x 3 voies de l’A25 entre Nieppe et Englos
  • l'échangeur de Templemars au sud de Lille sur l'A1

 

 

FOCUS

Péage urbain : l’exemple de Stockholm

 

Le Comité Grand Lille ira cette année à Stockholm (80 000 habitants). Objectif : étudier le système de péage urbain mis en place en août 2007 parallèlement à une amélioration des transports en commun.

Depuis lors, les automobilistes doivent s’acquitter d’une taxe pour entrer ou sortir, de 7h30 à 18h30, d’une zone de 35 km2 autour du centre-ville. Son montant : de 1,07 à 2,16 € selon le moment de la journée. L’accès est gratuit en dehors de ces horaires et durant les week-ends. C’est le cas également pour toute une série d’usagers dont les véhicules hybrides ou électriques et les voitures immatriculées à l’étranger.

Ce péage est assuré à l’aide d’un réseau de caméras de surveillance qui lisent les immatriculations et les transmettent à une banque de données. Il a permis de réduire de près de 20% la circulation aux heures de pointe. Lors d’une phase d’essai en 2006, le dispositif a également accru de 6 à 10 % la fréquentation des transports en commun. A l’usage, cette hausse paraît toutefois plus modeste. Beaucoup d’automobilistes semblent avoir avancé leur heure d’arrivée et reculé celle de départ pour fuir la taxe.

Les recettes de ce péage sont estimées à 8 M€/mois pour un investissement de quelque 405 M€ financé par l’Etat. Sa mise en place a pourtant été facilitée par la situation géographique de Stockholm, une ville entourée d’eau qui ne comporte que 18 voies d’accès à son centre.

 

 

ZOOM

Un RER Lille–Hénin-Beaumont ?

 

Lille–Hénin-Beaumont en 17 min, à 160 km/h, au moyen d’un transport de type RER qui relierait, en longeant la ligne TGV, le site de Sainte-Henriette à la gare Lille Flandre, soit 30 km, avec trois arrêts intermédiaires à Carvin, Seclin et Lesquin.

Tel est le projet que la Commission permanente du Conseil régional a décidé, à l’unanimité, de mettre à l’étude début 2011, entraînant alors de vives critiques chez certains élus de LMCU. Aujourd’hui, le climat serait beaucoup plus consensuel, à en croire Pierre de Saintignon, qui a soutenu publiquement le projet lors d’une réunion du syndicat mixte des aéroports.

Inscrit depuis 2006 au Schéma régional de transport, la ligne nouvelle pourrait accueillir un train toutes les 5 min aux heures de pointe et bénéficier d’une fréquentation de 20 000 à 30 000 voyageurs/j. Elle devrait offrir de multiples correspondances à ses deux extrémités, voire même être prolongée vers Douai, Lens et Arras, de manière à la rentabiliser au maximum.

L’opération représente un coût évalué l’an dernier entre 800 millions et un milliard d’euros mais sans que soit pris en compte, semble-t-il, la modification des échangeurs routiers qu’elle desservirait et l’aménagement des parkings en ces points. C’est pourquoi le président du Conseil régional n’exclut pas qu’elle soit financée par un partenariat public-privé, compte tenu des contraintes qui pèsent sur les budgets des collectivités locales.

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