THIERRY VUGHT : Finances locales : des marges de manuvre existent !
[caption id="attachment_29347" align="alignright" width="400"] Thierry Vught préside la Chambre régionale des Comptes Nord-Pas-de-Calais Picardie[/caption]
Vous pre?sidez un organisme un peu me?connu.
Quel est le ro?le de la Chambre re?gionale des comptes ?
Nous avons fusionne? les ressorts Nord-Pas-de-Calais-Picardie en 2012 suite a? un mouvement de re?forme. Notre champ de compe?tence couvre environ 8000 organismes soit un pe?rime?tre d'environ 30 Mds en poids annuel. Il comprend les deux re?gions, les cinq de?partements, toutes les communes, les EPCI, des e?tablissements publics locaux, les SDIS, les e?tablissements publics denseignements, les colle?ges, les lyce?es. Mais aussi les associations qui rec?oivent une subvention dune de ces entite?s, les offices HLM, les socie?te?s de?conomie mixte, les organismes de?le?gue?s par la Cour, les CCI, les chambres de me?tiers et surtout les ho?pitaux publics. Notre pre? carre? est toujours de?fini par les deniers publics.
Qui contro?lez-vous et selon quels crite?res ?
Nous rendons 60 a? 70 rapports dexamen de gestion par an. Nous regardons la gouvernance, la strate?gie. Nous nous prononc?ons sur la fiabilite? des comptes. Cest ce qui nous diffe?rencie des autres corps dinspection, nos travaux sont publics et donnent lieu a? des de?bats. Le format a beaucoup e?volue?. Ils sont tre?s brefs et commencent par une synthe?se.
Nous de?cidons en toute inde?pendance de qui nous mettons au contro?le. Nous suivons une me?thodologie et un processus interne pour construire un programme annuel arre?te? par le Pre?sident. Les crite?res tiennent compte des enjeux financiers, de la taille des organismes.
Nous essayons daller au moins tous les 4 ou 5 ans dans les plus grosses collectivite?s, voire chaque anne?e dans les re?gions et les de?partements, la MEL, Amiens Me?tropole ou le CHRU.
Les rapports de la Cour des Comptes pointent chaque anne?e des de?rives. Et chaque anne?e, les de?rapages semblent se poursuivre sans fin...
Notre intervention est toujours ex post, sur les comptes et la re?alite? des donne?es financie?res et comptables. Cest notre marqueur. Pour autant, tout ce que je donne comme orientation aux travaux de la chambre, cest quils soient utiles. Et nous sommes utiles quand nous sommes lus. Dou? le co?te? synthe?tique de nos rapports et la ne?cessite? de mettre laccent sur des messages clairs. Nous gommons le jargon et essayons de ne pas nous appesantir sur les sujets dimportance pe?riphe?rique. Il faut aussi e?tre le plus actuel possible avec les dernie?res donne?es disponibles. Nous avons de?veloppe? des outils propres aux collectivite?s locales et a? leurs satellites pour proposer un ou deux scenarii, avec un volet prospectif. Mais il est normal que la de?cision finale appartienne aux e?lus.
Vos scenarii sont-ils suivis ?
Pour les destinataires de nos rapports, cest un conseil totalement inde?pendant et non finance? par des organismes de contro?le. Avec les autres juridictions re?gionales et la Cour des Comptes, nous avons des outils de parangonnage et de comparaison qui nous permettent de dire des choses.
Nous produisons aussi des recommandations, environ 500 par an, ainsi que des rappels a? la re?glementation pour remettre la collectivite? dans le droit chemin. 50% sont suivis deffet en tout ou partie.
Engagez-vous des proce?dures judiciaires ?
Nous avons plusieurs possibilite?s plus re?pressives que lexamen de gestion. La Cour de discipline budge?taire et financie?re qui sie?ge a? la Cour des Comptes soccupe dinfra-pe?nal. Nous lui transmettons des dossiers. Et puis nous faisons des transmissions en pe?nal. Nous sommes lune des chambres re?gionales qui en fait le plus, sur des cas de prise ille?gale dinte?re?t, favoritisme, recel, emplois fictifs, de?tournement de fonds public. La lutte contre les de?rives est un de nos marqueurs.
La baisse se?ve?re des dotations d'E?tat aux collectivite?s ne va-t-elle pas de?grader me?caniquement leurs ratios ?
Incontestablement. Cest plus complique? quil y a quelques anne?es de ge?rer des collectivite?s ou des entite?s locales avec cette crise ge?ne?ralise?e des finances publiques. Le proble?me de la pression fiscale et de lacce?s au financement rend le?quation complique?e. Mais les proble?matiques sont tre?s diverses entre une re?gion, une commune et un syndicat dassainissement. Dans notre rapport, nous essayons de retracer la fluctuation financie?re des deux re?gions sur 5 ans pour fusionner les ratios. Leur capacite? dauto-financement a fortement baisse?, en pas- santde520 a? 406 M en 3 ans.Pour financer leurs investissements, elles sont oblige?es de faire appel a? lendettement et de consommer leurs ressources. En terme de soutenabilite?, ce nest pas un mode?le e?conomique qui tourne inde?finiment.
Une re?duction de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) de 11 Mds sur 3 ans, est-ce soutenable ?
Cest force?ment soutenable. Quelle est lalternative ? Cest un choix fait par le Parlement dans le cadre dun objectif global de mai?trise des de?penses publiques. On essaye de donner les e?le?ments pour que c?a se passe le mieux possible. Cest toute la proble?matique des marges de manuvre et de lame?lioration de la gestion.
Sans levier fiscal, comment faire?
Le pouvoir de taux dimposition est extre?mement faible. Il est devenu extre?mement marginal.
Les collectivite?s peuvent agir au niveau des de?penses, notamment de personnel. Avec le transfert de personnels techniques et des lyce?es, les re?gions sont devenues de grands employeurs. Ce quelles ne?taient pas il y a 10 ans. Ce que nous constatons a? leur niveau, cest aussi la proble?matique du choix des investissements. Mais nous nirons jamais sur le terrain de l'opportunite?.
Me?me si on de?passe le champ de compe?tence? Quand par exemple la Re?gion de?cide de financer les re?serves du Louvre a? Lie?vin pour 60M ?
En opportunite?, nous ninterviendrons jamais. Il y a eu des de?bats et des e?volutions sur les compe?tences naturelles des collectivite?s et la clause ge?ne?rale de compe?tence. Presque toutes les re?gions interviennent en matie?re culturelle. Nous nallons pas frontalement dire quune re?gion ne peut pas faire dintervention en matie?re culturelle. Nous sortirions de notre ro?le. Si un pre?sident de re?gion de?cide de mettre le paquet sur un type daction culturelle, cest son droit. Nous insisterons sur le financement et surtout sur limpact sur les de?penses de fonctionnement. La loi NOTRe oblige les collectivite?s territoriales a? faire le?tude de limpact de leurs investissements sur leurs de?penses de fonctionnement. Lexemple classique est celui de la piscine : un projet implique des de?penses de personnel, des mises aux normes (qui e?voluent), des frais dentretien. Nous voudrions que quand les exe?cutifs se de?cident, ils aient une vision de limpact sur plusieurs anne?es.
Les partenariats public-prive? (PPP) sont un moyen pour certaines collectivite?s de contourner ces contraintes. Quelle est votre vision de ces montages ?
Nous contro?lons les PPP quand loccasion se pre?sente, aussi bien sur de le?clairage, du stationnement ou des stades. Nous navons pas a? avoir de position de principe. Nous navons pas fait de travail ge?ne?ral sur les gestions de?le?gue?es. Ce qui est su?r cest que le PPP fournit un moyen de?chapper ou davoir limpression de?chapper a? la contrainte budge?taire.
Quel regard portez-vous sur la situation financie?re de nos de?partements, dont celui du Nord?
Ils sont dans une situation financie?re tendue. Cest la? ou? leffet de ciseau entre les produits et les charges est le plus proble?matique avec laugmentation des prestations sociales aux personnes handicape?es et a?ge?es et le RSA. Notre re?gion est sans doute la plus concerne?e pour des raisons de?mographiques et sociales. Nous essayons dobjectiver, de mettre les donne?es en perspective a? la fois dans le temps et en comparaison. Et de trouver si des marges de manuvre existent, notamment sur les de?penses en personnel. Il y a aussi des leviers y compris fiscaux ou dans certains programmes dinvestissement.
Avec le risque de ce?der a? la facilite? de re?duire l'investissement utile a? l'e?conomie au lieu des de?penses de fonctionnement ...
Une fois que vous avez enleve? les de?penses de personnel et dassistance sociale dans les de?penses de fonctionnement d'un de?partement, le reste est presque secondaire. Cest force?ment la? que leffort doit porter. Une partie du cadre des de?penses de guichet est fixe?e par des textes, sans choix ni marge. Mais dans les modes de gestion des aides, il peut y avoir des ame?liorations. Certaines prestations au-dela? du cadre le?gal sont discre?tionnaires. Je ne dis pas quil faut les supprimer. Notre travail cest de pre?senter aux e?lus les choix possibles. Dans la fonction publique territoriale, la structure de?mographique ame?nera aussi de nombreux de?parts en retraite dans les prochaines anne?es. Il y a un choix politique a? faire avec un effet de structure puisquon embauche pour moins cher des jeunes. Des choix peuvent aussi e?tre faits dans la gestion des ressources humaines, par exemple sur les politiques davancement. Certaines collectivite?s avancent tout le monde a? la dure?e minimale. Tenir compte de le?valuation et de la qualite? du service pour navancer que les meilleurs, me?caniquement cela de?gage une marge. Il y aussi le temps de travail.
Vous faites allusion a? labsente?isme ?
Oui, mais aussi aux jours de conge?s exceptionnels. Dans beaucoup des collectivite?s de notre ressort, la dure?e de travail est souvent infe?rieure a? la dure?e re?glementaire de 1607 heures. Le seul fait de passer a? cette dure?e de?gagerait des marges.
Il y a aussi le proble?me des satellites. Beaucoup de collectivite?s sont engage?es avec des moyens e?normes dans des satellites. Ce sont des risques potentiels.
Les risques sont-ils re?els ?
On a pu voir des effets dominos avec des entite?s en difficulte? financie?re, oblige?es de recapitaliser ou darre?ter leur activite?. Les collectivite?s participantes ou actionnaires subissent les contrecoups. Nous navons pas de catastrophe syste?mique. Mais il y a eu des cas signale?s lan dernier de SEM ou? deux de?partements actionnaires ont du? venir au pot. Les outils de suivi et de pilotage ont e?norme?ment progresse? sur les dernie?res anne?es. Nous ne sommes pas du tout dans le ro?le du donneur de lec?on ou de celui qui e?pingle. Nous essayons de comprendre les contraintes pesant sur la sphe?re locale, dapporter une contribution utile puis de voir ou? sont les marges.
Une marge qui est parfois discre?tionnaire, cest les subventions. Cela repre?sente des proportions importantes des de?penses de fonctionnement. Il faut que la collectivite? ait un moyen de savoir a? quoi servent ses subventions et d'orienter ses actions.
Les collectivite?s saupoudrent-elles trop?
Cest le risque du subventionnement. Parfois vous distribuez des moyens sans ve?rifier qu'ils correspondent a? vos priorite?s. En matie?re daction territoriale et de de?veloppement e?conomique, nous avons mene? des travaux re?cents a? l'e?chelle de chaque canton : on n'y voit pas de lien avec les priorite?s du de?partement. Le fait de signer avec les associations des contrats dobjectifs et de moyens ame?ne a? faire du reporting et a? une restitution au moins une fois par an devant lorgane de?libe?rant.
Pratiquez-vous le benchmarking pour favoriser les bonnes pratiques ?
Nous essayons de le faire dans le cadre denque?tes nationales, avec les autres chambres re?gionales. Quand nous de?crivons les mauvaises pratiques, par ricochet nous mettons en relief les bonnes. Nous le faisons, au-dela? de l'analyse financie?re, sur les services publics locaux qui concernent le plus grand nombre possible de citoyens, par exemple le logement social, les politiques de stationnement, le haut de?bit.
La Cour des Comptes vient de pointer une nouvelle hausse de 40 000 emplois publics en 2014. Comment est-ce possible ?
Le proble?me avec lemploi public est quil na pas que des effets de court terme. Vous recrutez un fonctionnaire pour sa pe?riode dactivite? et au-dela? pour sa retraite. Il faut compter non pas 40 mais 60 ou 70 ans dimpact budge?taire. Cest la raison pour laquelle la Cour attire re?gulie?rement lattention sur la mai?trise des de?penses en personnel car de toutes les de?penses publiques, cest celle qui a les effets les plus durables.
La dette des collectivite?s n'atteint-elle pas aujourd'hui des limites dangereuses ?
Sendetter pour investir est un mode?le qui nest pas contre nature. Le proble?me cest sendetter pour le fonctionnement ou pour des prestations courantes. La sphe?re locale e?vite ce de?faut la?. Le mode?le ge?ne?ral est pluto?t vertueux.
Le principe de fusion de communes pour mutualiser les moyens est-il vertueux ?
Nous nen avons pas encore contro?le?. Ce que nous voyons cest le levier des intercommunalite?s et des mutualisations. Il ny a pas toujours le levier en matie?re de?conomie de gestion, de diminution des impo?ts, c?a ne marche pas bien dans tous les cas. Mais potentiellement, cest un vecteur de meilleure gestion. Il y a de tre?s bonnes pratiques que nous avons signale?es dans nos rapports. La mutualisation est quand me?me globalement vertueuse.
La grande re?gion compte beaucoup de communes, surtout dans le Pas-de- Calais, la Somme et lAisne, les trois de?partements franc?ais qui comptent le plus de communes en France. Cest tout simplement e?norme. Mais vous savez a? quel point nos concitoyens sont attache?s au niveau communal.
La fusion du NPDC et de la Picardie a e?te? vendue comme devant ge?ne?rer des milliards de?conomies. Certains annoncent au contraire des risques de surcou?t e?leve?, notamment avec le re?gime indemnitaire...
Nous navons pas de ro?le daccompagnement sur la fusion des re?gions ni sur la refonte de la carte territoriale. Nous interviendrons classiquement a posteriori. Les risques sont bien identifie?s par les deux collectivite?s et non pas la grande qui nexiste pas encore (au moment de l'interview, ndlr). Il y a des risques au niveau de la structure, sur toutes les fonctions support. Il y a e?videmment des doublons. Lexe?cutif de la future grande re?gion devra faire des arbitrages avec lorgane de?libe?rant. Les comite?s e?conomiques et sociaux ont de?ja? travaille? sur la question. Nous nous y inte?resserons quand la fusion sera faite.
Recueilli par Olivier Ducuing et Etienne Vergne
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