Philippe Choquet: "Nous sommes à l'aube d'une révolution agronomique"

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

Pouvez-vous nous présenter l'’école LaSalle Beauvais-Esitpa ?

LaSalle Beauvais est né de la fusion de l’'ISAB (Institut Supérieur d’'Agriculture de Beauvais) et de l’IGAL (Institut Géologique Albert de la Parent) en 2006. Fondée en 1854, c'’est la plus vieille école d'’ingénieurs associative française. Historiquement, l'’ISAB est une école d’'agriculture créée en pleine révolution industrielle à l’'époque où le monde rural arrivait difficilement à vivre de son métier. Nos créateurs ont eu la conviction que les nouvelles technologies aideraient le monde agricole à faire sa révolution. Comme toutes les écoles d'’ingénieurs en France, l’'ISAB a suivi pendant longtemps un long fleuve tranquille. Aujourd’hui, l’'enseignement supérieur entre dans une nouvelle ère. On parle de rapprochements, de fusions d’'universités ou d’'écoles. Nous faisons partie de cette dynamique. LaSalle Beauvais a connu plusieurs étapes de consolidation et de croissance. D’'abord école d'’ingénieurs en agriculture, nous avons commencé à nous diversifier vers la sécurité sanitaire, la sécurité alimentaire puis vers l’'alimentation-santé. Ce qui nous a amenés, dans les années 2000, à lancer une formation d'’ingénieurs dédiée. La question de l’environnement nous interpellait également. L’agriculture doit produire dans des conditions environnementales optimales. Nous avons fusionné, en 2006, dans cette logique avec l'’IGAL spécialisée dans les sciences de la terre.

En janvier dernier, vous avez également fusionné avec l’Esitpa (Ecole Supérieure d'’ingénieurs pour l'’agriculture) de Rouen. Pourquoi ?

C’est une double approche. Quand les ministres européens ont décidé l'’harmonisation des diplômes dans le cadre des accords de Bologne, ils ont mis l’'enseignement supérieur français dans une concurrence européenne où le système universitaire prévaut. Nous avons ainsi d'’un côté les universités et de l'’autre les grandes écoles. Deux options se présentent. Les écoles se rapprochent des universités parce qu’'elles sont trop petites, ou elles consolident leurs effectifs pour atteindre les tailles critiques qui garantiront leur pérennité. C’est l’'option la plus pertinente pour conserver le modèle d'’écoles ingénieurs. Nous avons donc entamé une logique de diversification, d’'abord dans les sciences de la vie et de la terre et de l’'environnement, que nous allons poursuivre avec d'’autres thématiques complémentaires de la nôtre. Le deuxième élément qui nous a amenés à nous rapprocher de l’'Esitpa est que l’'enseignement supérieur agricole est atomisé. Aujourd’hui, il y a 15 écoles qui vont jusqu’à bac+5 au niveau du ministère de l’'agriculture. Cette atomisation donne donc très peu de visibilité de l'’agriculture française à l’'international alors que nous sommes l’'une des premières puissances agricoles et agroalimentaires européennes et mondiales.

“La Salle est une marque connue dans le monde entier. Elle est synonyme d’'enseignement de qualité”

Comment se positionne LaSalle Beauvais –Esitpa sur le plan international ?

Le réseau La Salle est le premier réseau mondial d'’éducation présent dans 82 pays au travers de 1500 écoles dont 72 universités. La Salle est une marque connue dans le monde entier, elle est synonyme d’'enseignement de qualité. Nous sommes structurés au niveau d'’une association mondiale d'’universités lasalliennes qui est un réseau dynamique. Nous proposons des mobilités semestres et des parcours en double diplôme. Nous imposons à nos élèves un stage à l’'étranger. Envoyer nos étudiants français à l’'étranger se fait bien grâce à nos 135 partenariats. Attirer des étudiants étrangers en France est plus compliqué. Aujourd'’hui sur le campus 5% des effectifs sont des internationaux. Nous développons actuellement des programmes en anglais, plus attractifs pour des étudiants étrangers, notamment américains. Nous développons aussi notre stratégie internationale de manière à accompagner les entreprises agroalimentaires dans leur développement. En effet, l'’un de leurs facteurs limitants est d’'avoir des cadres bien formés. Comment accompagner nos partenaires ? Soit en envoyant nos élèves en stage dans ces filiales si elles investissent dans les pays de la CEI ou au Kazaksthan si nous avons, par exemple, des russophones dans l'’école. Soit en formant des élèves originaires de ces pays pour qu'’ils puissent être embauchés par ces entreprises. Nos accords internationaux sont signés autant que possible dans des pays où l'’agroalimentaire investit. Par exemple, nous avons des contacts avec des groupes comme Bonduelle ou Lactalis, très implantés à l’étranger.

Quelles sont les évolutions de l’'agriculture que l'’école accompagne ou anticipe ?

Pour moi elles sont de deux ordres : santé et environnemental. Dans le premier cas, nous avons une conviction : les liens entre les dimensions agriculture et alimentation-santé. C’est l'’idée du caractère essentiel qu’'une bonne alimentation contribue à rester en bonne santé tout au long de sa vie. Mais aussi de la qualité des produits apportés dans les méthodes de production. La notion de microbiote est au cœœur de cette évolution. Notre flore intestinale est composée de 100 000 milliards de bactéries. Cette symbiose homme micro-organisme existe depuis toujours. Les aliments consommés influent, nous influons sur le développement de cette flore. Le dérèglement de ce microbiote est à l’'origine d’un grand nombre de pathologies. Les études sur le sujet vont croissant. Il nous faut les comprendre et les analyser. Nous avons une formation spécialisée sur ces questions.

Et sur la dimension environnementale ?

La question est de produire autant, voire plus, avec moins d’intrants qui peuvent avoir un impact néfaste sur la santé ou sur l’environnement. Des réponses arrivent avec la notion d’agro-écologie. Pour ce faire, il nous faut redécouvrir l’agronomie au sens propre. L’agronomie, c'’est une plante et un sol. La plante croise génétique et biodiversité. Le sol, longtemps considéré comme un élément purement physique, si tant est qu'’on le respecte, offre une biodiversité gigantesque. Une « vie complexe » sur laquelle nous travaillons avec une équipe d’enseignants chercheurs spécialisés. Nous sommes à l’aube d’une révolution agronomique. Demain, nous nous appuierons davantage sur les éléments de la nature et ferons appel à cette biodiversité en redécouvrant les caractères génétiques des plantes sous-utilisés.

 

 

Quel rôle joue l’'école au sein du pôle de compétitivité IAR (Industrie et Agroressources) ?

Nous sommes membre fondateur. Nous y prenons part d’abord sur la partie adaptation et mobilisation des agro-ressources. Pour mettre en place des filières agro-industries, les agroprocédés de fabrication ou de chimie verte ne suffisent pas. La matière première reste un facteur limitant. Ce n’est pas suffisant d’avoir des produits biosourcés en cosmétique ou chimiques, il faut aussi que leurs productions aient une empreinte carbone la plus faible possible. Nous sommes aussi positionnés sur des procédés de transformation avec des activités de R & D. Et sur l'usage de l’'ozone, un oxydant très puissant qui peut être utilisé dans le domaine agricole en décontamination et en dépollution. [NDLR : une plateforme dédiée à l’'ozone sera inaugurée en septembre prochain sur le campus.]

Combien de vos étudiants s'’installent à leur compte à leur sortie de l’'école ?

Sur les diplômés de la formation « ingénieur en agriculture », 5 à 10% sont agriculteurs sur une exploitation. Au bout de 10 ou 15 ans nous sommes plus proches des 10% voire au-delà. La plupart d’'entre eux travaillent dans un premier temps dans les filières agronomique et agro-alimentaire avant de s’'installer. Tout le monde n'’a pas la chance d'’avoir une ferme à reprendre, même si nous avons beaucoup de fils ou filles d’'agriculteurs ! [NDLR : 40% dans la spécialité « Ingénieur en Agriculture »]. J’'observe que très souvent, les jeunes qui s'’installent ont une double casquette. Ils peuvent exercer un autre métier en plus de la gestion de leur exploitation ou avoir des engagements comme président de coopérative ou administrateur de grandes banques. Dans tous les cas, nous essayons de leur inculquer un état d’esprit nouveau : dans les années qui viennent, un agriculteur devra être de plus en plus entrepreneur et innovant.

Les candidats à votre filière agricole sont-ils sensibilisés aux impératifs d'’agriculture durable ?

Les candidats que nous recrutons ont des degrés de maturité variables. Les promotions sont constituées d’'enfants « issus » d'’exploitations en agriculture biologiques, ou de pratiques plus traditionnelles. Cette diversité au sein d’'une même promotion est importante. Demain il n'’y aura pas un seul modèle d'’agriculture. Cela se fera en fonction de chaque écosystème. Dans le bocage normand ou dans l’'Avesnois, l’'agriculture biologique semble très logique. La ferme des mille vaches, dans son contexte, peut avoir toute sa logique. Je n'’oppose pas les systèmes. Je dis juste que pour qu'’un système soit résilient, il doit être diversifié. Il y a de la place pour plusieurs agricultures si tant est que les gens soient entrepreneurs et perçoivent les opportunités dans leur environnement et les attentes de la société.

“Ce qui est certain, c'’est qu’'on ne pourra pas avoir une agriculture française 100% biologique"

L'’agriculture conventionnelle sera donc encore présente dans dix ans…

Ce qu’'on appelle aujourd’hui « agriculture conventionnelle » sera complètement dépassée dans 10 ans. Qu’est-ce que la définition de l'’agriculture conventionnelle ? L'’agriculture argentine hypersimplifiée avec OGM et emploi de phytosanitaires à vau l’-eau ? Ou celle que nous pratiquons qui est déjà très raisonnée ? L’'agriculture conventionnelle, soigne les plantes malades avec des phytosanitaires et utilisent de l’'engrais. Demain, les entrants seront moindre ; elle restera conventionnelle. C'’est un continuum. Les systèmes doivent se nourrir les uns les autres. Pour que l’'agriculture biologique soit bien pratiquée, elle doit être conduite de manière scientifique. Tous les systèmes doivent progresser dans un respect de l'’alimentation santé et de l’'environnement. J'’espère que les connaissances acquises en agriculture biologique pourront apporter à l’'agriculture conventionnelle. Et vice versa. Ce qui est certain, c’est qu’'on ne pourra pas avoir une agriculture française 100% biologique.

Selon vous, quels sont les freins au développement du bio dans les Hauts-de-France ?

Le bio se développe bien dans la région comme il se développe ailleurs. Des agriculteurs entrepreneurs saisissent ce marché. Le marché bio augmente par la demande des consommateurs, boosté par l'’explosion des circuits courts. Toutefois, bien que la demande soit importante, faire basculer une exploitation « conventionnelle » en bio est un vrai challenge. Cela peut présenter un risque économique potentiel, pas toujours facile à prendre dans le contexte économique tendu actuel.

 

LaSalle Beauvais-Esitpa

2500 élèves ingénieurs dont 1900 sur le campus de Beauvais, 600 à l'Esitpa Rouen

300 salariés dont 99 enseignants-chercheurs à Beauvais, 25 à Rouen.

Budget : 36 M€ dont 28,5 M€ pour Beauvais,

14 formations diplômantes

Un réseau de 15 000 anciens élèves. Le réseau mondial des universités lasalliennes, présent dans 82 pays, regroupe 1500 écoles et 72 universités.

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