Nos textiliens trament un avenir innovant

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

A Roubaix, Achille Bayart est l'un des derniers sites textiles encore en activité. "Nous étions à deux doigts d'arrêter", se souvient son président Xavier Decant, "lorsque nous nous sommes diversifiés dans le textile technique en rachetant Ferlam Technologies en 1997". Spécialiste de l'isolation et la protection technique industrielle à partir de fibres recyclées comme le para-aramide (kevlar), cette société de 26 personnes exporte 40 % de son chiffre d'affaires et ne cesse d'innover. De nombreux textiliens ont suivi la même démarche. Le textile technique régional pèse 9 000 emplois sur les 13 000 que compte encore le textile dans sa globalité et 150 entreprises. Pour l'essentiel petites, souvent de moins de 50 personnes, souvent leaders sur leurs niches. La région occupe d'ailleurs le second rang français derrière Rhône Alpes.

"Jusqu'en 2008, le secteur progressait de 5 à 7 % par an", rappelle Jean-François Bracq, secrétaire général de Clubtex, association de promotion du textile technique forte de 75 adhérents dont huit centres de formation et écoles dans une région qui forme 75 % des ingénieurs du secteur. "Globalement, nos entreprises ont plutôt mieux supporté la crise que celles du textile traditionnel". En 2009, la déprime dans l'automobile ou le nautisme n'a pas épargné le métier dont la baisse de régime a atteint 12 à 13 %. Les affaires reprennent depuis début 2010.

Pour contrecarrer la crise, certains industriels se sont diversifiés comme Duflot à Caudry ; la société a investi 4,7 M€ dans la création de produits d'isolation thermique et acoustique pour le bâtiment. "A terme l'automobile ne représentera plus que 20 à 25 % de nos ventes contre la moitié auparavant", estime Xavier Delattre, président de Duflot.

Même enjeu de diversification chez Hervé Bastien à Beauvois-en-Cambrésis : Productrice de tissus techniques dédiés à l'affinage des fromages, la Pme a subi un recul d'activité de 10 %. Hervé Margerin, son pdg, tente de se reconvertir dans les tissus utilisés pour renforcer les sièges d'avions.

Haute valeur ajoutée

Les industriels font preuve d'une inventivité permanente pour conférer au textile toujours plus de propriétés. "La recherche de produits à haute valeur ajoutée est un élément majeur de différentiation pour les entreprises", martèle Isabelle Zeller, directeur général du pôle de compétitivité Up-Tex. Lequel a labellisé 60 projets depuis 2005 pour 60 M€ sur trois grands axes : les matériaux textiles avancés, la polysensorialité et la customisation de masse. Ceci dans tous les domaines d'expertise : santé, transports, bâtiment, habillement, ameublement...Un des axes majeurs de la recherche porte sur la recyclabilité conjuguée à l'allègement des matériaux dans les transports.

"Les industriels partent du besoin du client final pour créer leurs produits", explique Jean-François Bracq. "Mais cela ne se fait pas d'un coup de baguette magique". Clubtex met très régulièrement les sociétés en relation, selon une philosophie simple : "il ne faut pas se battre pour se partager un marché mais lutter ensemble pour en créer de nouveaux".
Même attitude chez Up-Tex. A la demande d'Oxylane, le pôle a élaboré un projet pour créer une nouvelle fibre associant des caractéristiques multiples : chaleur, anti-déchirure, haute résistance et insubmersibilité. "Pour un patron d'une boîte de 40 salariés qui a le nez dans le guidon, ce n'est pas si simple de se lancer dans l'innovation. Nos ingénieurs détectent les opportunités sur le terrain", poursuit Isabelle Zeller. Le futur Centre Européen des Textiles Innovants (CETI), qui ouvrira ses portes sur la zone de l'Union à Tourcoing en 2012, sera pour la filière un nouveau tremplin technologique d'envergure mondiale, avec pas moins de quarante combinaisons techniques de moyens de production. L'investissement est à la hauteur des ambitions de ce projet hautement stratégique d'Up-Tex, soit 22 millions d'euros pour les bâtiments, 15 millions pour les équipements. Il restera à convaincre les Pme de les utiliser.

A la tête du fabriquant de fils J .Toulemonde, Bruno Toulemonde joue quant à lui la qualité. "Nous utilisons des matières naturelles comme le coton d'Egypte". Résistants mais souples, leurs fils sont utilisés dans des marchés variés : automobile, santé, voire même...dans la fabrication des billets de banque! "Nous fournissons le maroquinier Hermès à qui nous livrons un fil câblé glacé en lin spécialement conçu pour lui".
Cette recherche de différenciation les a poussés il y a trois ans à reprendre Vrau, acteur renommé de la mercerie. Leur gamme de couleurs en stock se décline maintenant en 1500 références.

Cultiver la différence est dans l'ADN du groupe Fauchille (Comines), unique en son genre en Europe, et particulièrement discret. 500 salariés, 50 M€ de chiffre d'affaires, 18 entreprises fonctionnant comme autant d'entités indépendantes mais complémentaires, capables de fournir en un temps record un produit fini grâce à la diversité des outils. Rubaneries, ateliers de confection, sites d'injection plastique et de fabrication de pièces métalliques... Géry Fauchille pratique l'intégration verticale à la lettre.
Dans un autre genre, Ferlam Technologies (Roubaix) investit près de 10 % de son chiffre d'affaires, soit 600 000 €, dans la recherche d'un nouveau composite. Un pari qui nécessite le développement d'une nouvelle machine et le dépôt d'un brevet, et qu'Oséo et la Région soutiennent à 40 %.

L'export, relais de croissance

"L'export représente en moyenne 40 % des ventes de nos adhérents", souligne fièrement Jean-François Bracq. Ainsi Xavier Decant vend-il jusqu'en Chine ses produits recyclés à base de para-aramide, car il est le seul à savoir recycler sur une certaine longueur de fibre. Il accompagne Arc International au grand export et expédie des convoyeurs résistant à 650° sur ses sites de production émirati et chinois.

Organisation de visites de salons, prise de rendez-vous personnalisés...: Clubtex accompagne ses membres dans leurs démarches à l'export. Idem chez Uptex qui prépare d'ailleurs une mission fin septembre au Japon pour un coût unitaire limité à 1465 €.
Sous l'égide de Clubtex, Textile de France, société née de la reprise de Gratry Lorthiois, a participé à la demande de la fondation " Architectes de l'urgence " à la conception d'un tissu hyper résistant utilisé pour la confection d'abris pour les habitants d'Haïti.
Les pistes sont loin d'être toutes exploitées. La raréfaction du pétrole, la problématique du poids dans les transports, l'intégration des contraintes environnementales vont amener le développement de nouvelles technologies dans lesquelles les textiles techniques auront un rôle majeur à jouer. "Nous avons devant nous un boulevard de niches", lance Jean-François Bracq.

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