L'intelligence économique, indispensable aux Pme

L'intelligence économique (IE) est plus proche de nous qu'on l'imagine. C'est par exemple le fabricant de machines spéciales Sculfort près de Maubeuge racheté par un importateur chinois inconnu qui la délocalise. L'affaire intéresse, dit-on, la DCRI, Direction centrale du renseignement intérieur. C'est aussi le millier d'ordinateurs portables dérobés chaque année à l'aéroport de Roissy CDG ou encore les oreilles indiscrètes qui traînent dans le TGV Lille-Paris...

A l'heure de la mondialisation, tous les moyens sont parfois considérés comme bons pour s'approprier une avance stratégique. « Dans notre société de consommation, les gens ne prennent pas conscience des risques », martelait le commandant de police Henri Dhenin devant un parterre de dirigeants d'entreprises réunis le mois dernier au World Trade Center autour d'un petit déjeuner sur le thème de l'intelligence économique. « Laisser l'ensemble de ses informations sur son portable lors de déplacements professionnels est suicidaire », poursuit-il en rappelant certaines précautions de base, notamment en cas de visite de délégations étrangères : « Ce n'est pas une opération porte ouverte. N'hésitez pas à demander aux visiteurs de laisser leurs portables à l'entrée, comptez au minimum un accompagnant pour huit personnes et surtout dévoilez votre savoir-faire par bribes. »

Diagnostic de vulnérabilité

Pour prévenir ces risques, le lieutenant-colonel Pascal Leplongeon, chargé de mission IE et sécurité à la Gendarmerie de région, établit des diagnostics de sécurité dans les entreprises à partir d'un panel de 90 questions autour de facteurs variés : humain, R&D, clients, fournisseurs... « L'entreprise est en net progrès concernant la protection informatique. Par contre le côté sécurité physique peut être encore amélioré. » Lui aussi rappelle quelques règles de base : ne pas placer de corbeilles près de photocopieuses dans le couloir, utiliser plutôt une déchiqueteuse, bien délimiter le champ d'activité des stagiaires, car 75% des pertes d'information des entreprises proviennent d'un comportement anormal en interne. « Le cas de la stagiaire chinoise accusée d'espionnage industriel chez Valeo n'est pas un cas isolé », poursuit le lieutenant colonel qui rappelle que la plupart des mesures ne protection ne coûtent rien car elles font appel au simple bon sens.

Alertes et veille stratégique

Second pied du triptyque : la veille stratégique. Objectif : capter, traiter et diffuser de l'information stratégique fiable pour aider les décideurs. Pionnier de l'IE en France, l'Adit, créée par l'Etat en 1992, accompagne les collectivités territoriales et les entreprises. Depuis 2005, le programme Euradit, financé par la Région et LMCU, permet aux Pme de disposer gratuitement de renseignements auxquels elles ne pourraient, seules, avoir accès. Son coordinateur national, Jean-Paul Blanc, explique : « Quand je vais voir une entreprise, je ne lui parle pas d'intelligence économique car le terme n'est pas assez “terrain”. Je leur propose des informations concrètes. » Sécuriser une relation fournisseur, s'assurer de la solvabilité d'un client, évaluer un nouveau marché… 750 missions de business intelligence personnalisées et 250 alertes de veille sont réalisées par an. Initié auprès des seules filières du ferroviaire et du textile, ce programme régional renseigne aujourd'hui dix filières économiques.

La CCI Nord de France, à travers sa cellule CCI Innovation, offre également aux entreprises un service de veille personnalisée, de traitement et d'analyse de l'information.

Troisième axe : les réseaux. Chaque pôle de compétitivité possède son service d’intelligence économique. « Nous proposons des prestations sous forme d'actions collectives ou individuelles », précise Nicolas Labadie, en charge du pôle IE d'Eurasanté. Organisations de conférences thématiques, ateliers de formation, identification de nouveaux marchés, diagnostic export... les actions sont variées. Au CD2E, Farouk Jebali, responsable de la veille stratégique, sensibilise notamment les entreprises du secteur de l'environnement à la sécurité économique. « Les entreprises sont vulnérables car les questions de sécurité ne sont pas prioritaires. Nous leur expliquons par exemple comment se déplacer à un salon en toute sécurité. »

Acquérir les bons réflexes

L'IHEDN, l'Institut des hautes études de défense nationale, organise depuis une dizaine d'années des cycles de formation intelligence économique et stratégique éligibles au DIF. Selon Robert Ranquet, son directeur adjoint, « l'IHEDN s'est adapté à la nature des guerres. L'intelligence économique est devenue un enjeu majeur pour l'entreprise. Acquérir les bons réflexes pour protéger ses acquis ne s'improvise pas. » Comment implanter une démarche de veille stratégique ? Comment sécuriser les systèmes d'information ? Les clés de valorisation de la recherche... Toutes sortes de sujets sont démystifiés par des professionnels de l'IE.

Les formations ont fleuri ces dernières années. La France compte plus de 50 masters spécialisés. Celui de Lille 1, « Information, stratégie et compétitivité internationale », figure en tête du palmarès du Moniteur du commerce international, le Moci. Une formation concrète, qui a reçu l'an dernier plus de propositions de postes que d'étudiants. Principale raison selon son directeur, Franck Tognini : « aucun dirigeant ne peut aujourd'hui innover ou se développer à l'international sans se poser la question des informations nécessaires à la réussite de ses projets. »

Armelle Roussel

ILS TEMOIGNENT

« Nous sommes vigilants »

Maxence Devoghelaere, Pdg fondateur de 3DDuo à Tourcoing

« Dans notre métier de création de jeux vidéo, nous ne pouvons pas protéger nos idées. Nous sommes donc vigilants. Nous protégeons nos serveurs avec un administrateur réseau. Certains stagiaires ayant accès à un projet stratégique signent une clause de confidentialité. Les autres n'y ont tout simplement pas accès. »

« L'accès aux ateliers est strictement réglementé »

Arnaud Lefort, Pdg d'Indelec à Douai

« 80 % de nos paratonnerres fabriqués à Douai se vendent à l'étranger. Nous accueillons donc de nombreuses délégations internationales. Fin 2011, nous avons reçu une dizaine de Chinois ne parlant ni anglais ni français. La prudence est de mise. Nous les avons étroitement encadrés pendant toute la visite, qui s'est essentiellement déroulée en salle de réunion. L'accès aux ateliers est strictement réglementé, comme l'exige la certification “chargeur connu” que nous avons obtenue du ministère des Transports . »

« Nous faisons de l'intelligence économique sans le savoir »

Pierre Verschave, président d'Esium à Villeneuve-d'Ascq

« Dans notre petite structure de six personnes, tout le monde fait naturellement de la veille stratégique sans forcément mettre un nom dessus. Nous menons deux types de veille : une veille technique et une veille de la concurrence pour surveiller qu’on n'attaque pas l'un de nos six brevets. Nous sommes prêts à aller jusqu'au bout pour défendre notre avance technologique sur notre niche de marché : les solutions de guidage et d'information pour malvoyants. »

« Les renseignements nous ont permis de nous enfuir en courant ! »

François Cousin, président de Cousin Biotech à Wervick

« Nous avons missionné l'Adit à plusieurs reprises sur des questions d'intelligence économique. Par exemple, nous avons failli travailler avec une société russe sur laquelle nous ne parvenions pas à obtenir de renseignements. Leurs recherches nous ont permis de nous enfuir en courant ! Une autre fois, ils nous ont aidés à trouver une matière première qu'utilisaient nos concurrents. Ce sont réellement des pros. »

CONTACTS UTILES

Adit : Jean-Paul Blanc au 03 20 13 59 10

CCI innovation Nord de France : 03 20 63 68 00

Gendarmerie de région : lieutenant colonel Pascal Leplongeon au 03 20 43 57 56

IHEDN : 01 44 42 54 08