Laurent Degroote : "Entrepreneuriat régional : Yes, we can !"

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

 

Recueilli par Olivier Ducuing et Julie Dumez

Photos Sébastien Jarry

 

Comment analysez-vous la création d'entreprise, 12 ans après le lancement du Plan Régional pour la Création Transmission d'entreprises (PRCTE)?

L’ensemble des acteurs est en train d’élaborer un cercle vertueux de l’entrepreneuriat dans le Nord-Pas-de-Calais. Notre ambition commune est d’être une des 3 premières régions entreprenantes d’Europe à horizon 2020. Le PRCTE a été un catalyseur qui a fédéré tout le monde. Sans cette action, nous n’aurions pas obtenu les résultats actuels. Tous chiffres confondus, la création d’entreprise dans la région ne se porte pas mal malgré la crise, notamment grâce au développement des auto-entrepreneurs. La création de sociétés hors auto entrepreneurs est un peu en baisse (-3,3% à fin juin). Mais dans notre conjoncture et en rapport avec le reste de la France, ce n'est pas alarmant. Ce sont des chiffres plutôt satisfaisants sur le long terme, même si nous préférerions une plus forte croissance. Nous sommes dans un climat ambiant très négatif. Nous pourrions peut-être avoir un autre regard : on peut voir les choses qui fonctionnent bien. La preuve ici dans la région, où nombre d'entreprises ont de bonnes performances ou opèrent leur reconversion alors qu'elles étaient sur des marchés très durs. Exemple : le nombre croissant de créations dans les nouvelles technologies. La question est : comment transformer la crise en opportunité pour en avoir une vision très différente ? Nous changeons de modèle d’entreprise et ceci est une révolution.

 

Le PRCTE est l’alliance de toutes les forces (Etat, région, CCI...). Est-ce toujours la lune de miel ?

Le PRCTE est d'abord un formidable outil de financement qui s'inscrit dans une politique de développement. Il n'existe comme tel dans aucune autre région. Il a considérablement aidé au développement et à la création d'entreprise. Grâce à cette dynamique, une multitude de projets a vu le jour. Comme le salon CREER ou la SRIE.
L'esprit d'entreprise a-t-il vrai- ment émergé depuis 15 ans ? Les choses changent petit à petit mais c'est une évolution de longue haleine. On reste encore de façon très dominante dans une culture salariale. Une partie de la population ne se sent pas concernée, c’est un vrai problème. Pour le taux de création d'entreprise, nous sommes la deuxième région de France, donc nous pouvons dire co- corico. Grâce au PRCTE et à la mobi- lisation des acteurs, nous avons bien remonté les statistiques puisque nous étions au milieu de la classe il y a deux- trois ans. Mais nous voulons encore mieux faire. En terme de densité en- trepreneuriale, le nombre de créa- teurs par rapport à la population, nous sommes avant-derniers... Cette culture n’est pas encore assez répar- tie et diffusée. Pour une partie    de la population qui baigne dans une culture économique, ou de formation supé- rieure, des commerçants, des arti- sans, c'est naturel, elle passe à l'acte. Mais pour beaucoup, absolument pas. Ils n'y pensent même pas, ou s'ils y pensent, ils se disent « ce n’est pas pour moi ». Nous devrions être dans un système où le « Yes we can! » l’em- porte. Et nous y serons grâce a la mobilisation de tous les acteurs !

 

 

N’y a-t-il pas une forte hausse des créations par des chômeurs qui trouvent là une solution personnelle ?
Créer par défi ou par dépit ! Trans- formons le dépit en défi et nous aurons des personnes libres grâce à leur choix ! Les demandeurs d’emplois créateurs d'entreprises (32% en 2012) ont toujours existé. En revanche, on n'en parle pas assez. On devrait avoir beaucoup plus de créateurs parmi eux. L'ensemble des acteurs fait-il son travail ? Là, on a certainement un gisement à exploiter. Par ailleurs, 20% des créateurs ont plus de 50 ans, ce qui signifie que beaucoup de personnes qui devraient préparer leur retraite se disent « soit pour trouver une activité je n’ai pas le choix, soit c'est l'occasion pour moi de me lancer dans un nouveau projet de vie ». Lorsque j'étais président du Réseau Entreprendre, nous avions lancé Entreprendre autrement. Le but était de favoriser la création d’entreprise à finalité sociale. Le régime d'auto-entrepreneur qui fonctionnait jusqu'à présent très bien va être réformé. Est-ce une bonne idée ?
Le régime a été créé parce que les statistiques de création d'entreprise étaient de 50% inférieures en France par rapport aux autres pays. Nous étions à la traîne parce que leurs dé- marches administratives de création, extrêmement légères, permettaient à des personnes de se tester et d'essayer des formules. Ici, celui qui hésitait lais- sait finalement tomber. Le régime d’auto-entrepreneur est hyper souple. Il permet au plus grand nombre de pouvoir se lancer dans l’entrepreneuriat, de tester une formule et si ça marche d’en vivre à 100%. Mais n’oublions pas qu’il s’agit de personnes qui tentent l’aventure, même en complément d’activité, alors qu’elles pour- raient rester salariées. Elles osent et prennent le risque. Bravo aux entre- prenants ! C’est eux qu'il faut mettre en avant.

 

 

Faut-il transformer ce régime ?
Je pense qu’il ne faut pas trop y toucher. En revanche, un peu de toilettage pour certaines professions réglementées peut être légitime. Le faire à du- rée déterminée, c’est un non sens puisque c’est brider l’acte d’entre- prendre! Le régime d’auto entrepreneur a justement été créé entre autres pour avoir une activité complémentaire. Le plafond de chiffre d’affaires qu’ils peuvent réaliser est très faible après déduction des impôts, des frais, des produits achetés... En revanche, c'est une excellente formule pour permettre à certaines personnes de mettre le pied à l’étrier. En région, 17% des auto-entrepreneurs changent de statut au bout d'un an. C'est très positif! Sans cela, ils ne seraient que 5%. D'autre part, 15 % des auto-entre- preneurs arrêtent au bout d'un an pour X raisons. Mais tous disent qu'ils recommenceraient volontiers. Petit à petit, ces personnes prennent goût à l’entrepreneuriat. C'est une leçon grandeur nature, et à ce titre, c'est une expérience positive.

 

 

Avec la crise, Bâle III, les ratios prudentiels des banques, les créateurs ont-ils plus de mal à se financer ?

Le premier tour n'est pas le plus compliqué quand le créateur est dans une logique d'accompagnement de type CCI, LMI, Réseau Entreprendre, les BGE, les PFIL, l’Adie... Ceci dit, tout créateur doit prévoir des fonds de dé- part adaptés à son projet. Et c’est le risque encouru par ceux qui se lancent seuls sans aide ou appui. Lorsqu’il y a besoin de financements deux ans après, c’est plus dur car la rentabilité est progressive et les besoins en fonds propres peuvent être criants en cas de forte croissance.

 

 

Il y a une quinzaine d'années, la région était dotée de structures d’accompagnement pléthoriques. Est-ce mieux organisé aujourd'hui ?
Il y en a toujours autant, celles nées de l'initiative privée, de type consulaire, des collectivités locales. Il faudrait qu’elles adhèrent à une charte régionale à créer pour faire en sorte qu'un candidat créateur soit certain d'avoir un minimum de qualité et de prestations. Nous devrions, nous consulaires, être à l’initiative avec le Conseil régional d'une certification. Les organismes financés par le PRCTE sont bien agréés. Nous pourrions aller plus loin dans une démarche « qualité régionale, Terre d’Entrepreneurs ». Un candidat accompagné a 50% de taux de réussite en plus, donc nous avons intérêt à le favoriser même si cela coûte cher. C’est pourquoi le Conseil Régional a fait inscrire dans le PRCTE des lignes budgétaires pour l’accompagnement post-création. Il faut autant de qualitatif que de quantitatif pour suivre le créateur, de la genèse de son projet à la maturité de son affaire. Les dépôts de bilan restent vécus comme des drames... L'arrêt d'une activité économique est considéré comme une faute en France. Dans le système anglo-saxon, c’est une expérience formatrice pourvu que cela ne se renouvelle pas en continu. Le créateur n’est pas montré du doigt comme un vilain petit canard. D’ail- leurs le fichage Banque de France va changer à la suite des Assises de l’entrepreneuriat.

 

 

Comment impulser davantage cette culture entrepreneuriale ?

Aujourd'hui, entrepreneuriat ne rime qu’avec modèle économique. Or, lorsqu'une personne crée une fête dans un quartier, un tournoi de sport, elle entreprend ! Pourtant, on ne fait pas le lien entre l'un et l'autre ! Pour beaucoup, ces mondes sont cloisonnés. Nous voulons créer des passerelles, pour faire comprendre que celui qui a porté un projet peut demain le réaliser dans l'univers économique. Prenez le domaine culturel : Lille 3000, le Louvre-Lens, les nombreuses manifestations régionales : cela génère des tas d'activités économiques secondaires, pas forcément envisagées au départ. C'est en développant l'activité endogène et les projets exogènes que nous réussirons à générer un buzz de l'activité entrepreneuriale et qu'elle de- viendra contagieuse pour le plus grand nombre. Faisons en sorte que le modèle salarial ne soit pas subi mais choisi, au même titre que le modèle entrepreneurial. Donnons aux personnes la possibilité d'entreprendre leur vie !

 

 

Vous préconisez la sensibilisation à l'entreprise dès l'école. Malgré les efforts, on a l’impression que la mayonnaise a du mal à prendre...

On a la chance d’avoir successive- ment eu deux recteurs qui ont mordu à l’hameçon en recrutant des intervenants pour sensibiliser à l'entrepreneuriat dans les collèges et lycées, et en le promouvant comme pratique pédagogique. Quelles sont les priorités du Salon Créer 2013 ? Je rappelle que le salon Créer s'adresse aussi bien aux créateurs, aux repreneurs qu'aux développeurs. Donc tout chef d'entreprise devrait venir y faire un tour ! Après une ouverture axée sur le financement, un temps fort sera consacré au commerce de demain. Puis nous aurons le forum international LIKE sur le thème « Entreprendre tout au long de sa vie ». La deuxième journée sera consacrée à l’entrepreneuriat féminin et la troisième mettra l’accent sur les jeunes. Globalement, pour deux visites, un rendez-vous post salon est décroché. C'est quelque chose que nous voulons cultiver et intensifier, de sorte que ce grand rendez- vous d'affaires se prolonge dans le temps.

 

 

Comment se positionne le salon aujourd'hui ? Quel est son impact sur l'économie régionale?

Il est devenu une référence dans la région et c'est le premier salon en taux de visite (visiteurs / population région), deuxième salon français après celui de Paris. Son visitorat est significatif, de 15 à 20 000 entrées par an. En revanche, s’il a une vocation régionale,
il reste à majorité métropolitaine. Nous l’élargissons donc à tous les territoires. On ne se substituera pas aux autres salons et la plupart des créateurs a besoin d'avoir une démarche de proximité. Mais plusieurs trouveront au salon Créer ce qu'ils ne peuvent pas trouver localement. Nous allons plus segmenter selon les secteurs avec par exemple un espace dédié pour les créateurs d'entreprises hautement technologiques, « les Happy Hours de l’Innovation ». Nous utiliserons aussi la méthodologie du Dojo Channel, dernièrement lancée à Calais, pour sélectionner les candidats créateurs, et nous aurons un partenariat avec Euratech. Les clés du développement de l’entrepreneuriat sont claires : l'innovation, l'international et l'accompagnement.

 

 

Les efforts ne sont-ils pas trop concentrés sur la création, laissant un peu de côté la transmission ?

En communication, nous essayons de cibler différemment. Car les démarches ne sont pas les mêmes. Le repreneur a une démarche étudiée, réfléchie, il ne le fait pas spontanément. On ne vend pas une entreprise en la mettant en vitrine. Les difficultés résident dans la recherche de l'activité à reprendre et dans la transmission des entreprises de moins de dix salariés. A la CCI, nous avons créé un portail dédié pour être un facilitateur entre les opérateurs et les repreneurs. Nous travaillons étroitement avec les réseaux des experts-comptables, des notaires et des banques.

 

 

Combien d’entreprises seront prochainement concernées par le départ du dirigeant ?

28% des PME sont concernées par la transmission car leurs dirigeants ont plus de 55 ans, soit 28 000 entreprises en région. Il est donc essentiel de préparer les dirigeants à prévoir leur transmission.
Activons aussi les formules de tutorat pour les faciliter : après un temps de fiançailles avec le dirigeant, les jeunes peuvent reprendre le flambeau. La transmission est très peu valorisée auprès des jeunes, contrairement à la création. Pourtant, les risques financiers sont moindres.
Beaucoup d'étudiants de formation supérieure préfèrent rentrer dans des grands groupes plutôt que de monter leur structure... Ouf, cela commence à bouger ! Surtout dans les grandes écoles où c'était le message dominant. Il y a maintenant des Hub Houses dans les universités de la région, des masters Entrepreneuriat avec de belles success stories. L’idée est de donner la possibilité aux étudiants de commencer un projet pendant leurs études et de le poursuivre après. Mais il ne faudrait pas que ce soit réservé à l'enseignement supérieur. Donc sensibilisons le plus grand nombre de jeunes, aidons les à « Oser Entre- prendre ». Faisons de notre région une terre contagieuse de l’entrepreneuriat. Nous venons de recevoir le label EER (European Entrepreneurship Region). Une étape car notre ambition est bien plus grande. Etre l’une des 3 premières régions entreprenantes d’Europe en 2020, c’est le défi que nous devons tous relever !

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