Florimond Desprez invente la betterave du futur
Concevoir une super betterave ultra compétitive et gagner des parts de marché face à la canne : cette ambition est celle du programme régional baptisé « Aker ». Pas sexy la betterave ? Elle est pourtant à lorigine dun cinquième de la production mondiale de sucre. Alors que la demande ne va cesser de croître dans les années à venir, se joue actuellement une guerre technologique sur lamélioration des espèces. Aker doit donner naissance, dici huit ans, via la génétique, à un super tubercule. Pour in fine rattraper le canne, très compétitive. Car si son rendement est moindre, ses coûts de production restent 30 % plus faibles que ceux de la betterave. La filière française pouvant de moins en moins activer le levier des engrais, la génétique simpose comme LA voie de la croissance. « Il sagit dun investissement de rupture. On se doit dentrer dans une démarche innovante, sinon la betterave va décrocher par rapport aux autres espèces », explique Bruno Desprez, DG de la société familiale presque bicentenaire. Lenjeu pour la filière est triple : améliorer le rendement et la résistance aux maladies tout en réduisant le recours aux engrais et pesticides.
Génome plus simple que la canne
Lannonce de février fut discrète. Le projet est pourtant dune ampleur rare. Lauréat de la seconde vague du programme des investissements davenir (grand emprunt), Aker vise à améliorer considérablement le rendement de la betterave. Basé sur le principe du triangle de la connaissance, ce programme collaboratif voit intervenir lunivers de la recherche, notamment via lINRA et ceux des industriels et de la formation. 8 ans de travaux et 18,5 M de budget, porté à 58% par lentreprise familiale, à 16% par lInstitut technique de la betterave (qui représente les industriels et les agriculteurs) et à 26% par la recherche publique. 80 chercheurs, issus de pas moins de 11 partenaires publics et privés de la filière sattellent à la tâche.
Première étape : identifier une quinzaine despèces de tubercule, les plus représentatives possible des milliers de variétés existant dans le monde. Cette sélection sera ensuite croisée génétiquement de multiples fois avec du matériel dit « élite » - déjà performant. Et donnera naissance à de nouvelles variétés à haut potentiel. « Les révolutions technologiques en cours et à venir en terme de génétique permettent davoir des ambitions très fortes au niveau mondial » explique Christian Huyghe, chercheur à lINRA et directeur scientifique dAker. Des espoirs propres à la betterave, car son génome est plus simple à analyser, et donc à améliorer, que celui de la canne.
Les travaux dAker passeront notamment par lutilisation de matériel de pointe danalyse du génome à haut débit. Ils doivent permettre à lensemble de la recherche de progresser, et au fond, bénéficier à dautres espèces que le tubercule. Manipulations douteuses ? le directeur scientifique du projet est très clair : les futures espèces ne seront pas des OGM : « Dans le cas des OGM, on intervient sur le gène de la plante, pour la modifier. Nos travaux consistent simplement, si jose dire, à croiser des espèces existantes. Ce qui les enrichit alors que la modification génétique les appauvrit», explique le chercheur de lINRA.
Résultats partagés
Comme tout projet collaboratif, Aker est celui de toute une filière. « On aurait pu lancer Aker sans lEtat, financièrement. Ce qui est important cest leffet fédérateur de ce projet, qui va voir travailler ensemble les semenciers et les agriculteurs. Et davoir 80 chercheurs dédiés à ces travaux, et notamment ceux de lINRA » se réjouit Bruno Desprez. Cela étant, lenthousiasme nexclut pas la réalité économique. Un pacte de consortium régit les règles de commercialisation des futures espèces. Les gains seront partagés à hauteur de lapport initial des différents acteurs. A lexception du matériel de haute technologie, très coûteux, dans lequel va investir Florimond Desprez, qui restera propriété de lentreprise. « Les innovations seront mises à disposition du marché, et même de la concurrence, selon des conditions liées aux droits dentrée de chacun. Il faut bien comprendre que la vraie concurrence, cest celle de la canne », rajoute le dirigeant. Le programme contient également une dimension pédagogique. Des formations bientôt proposées à luniversité Lille 1 et à lAgrocampus de Rennes doivent créer des ponts de connaissances entre les industriels et les chercheurs. Un écosystème qui se veut fertile. Alors que la commission européenne envisage davancer la suppression des quotas du sucre de 2020 à 2015, la betterave française garde les pieds sur terre.
Marie Raimbault
ZOOM SUR...
Florimond Desprez
Florimond Desprez est une vieille dame née en 1830. Elle produit et commercialise des semences, principalement de betterave mais aussi de céréales (blé, orge, ). Elle pratique la sélection et lamélioration génétique pour obtenir de nouvelles variétés plus performantes. Signe de sa forte intensité dinnovation, 18% du CA sont investis chaque année dans les labos de recherche et de sélection végétale. Lentreprise familiale est leader mondial des semences de betterave, 5è sur le marché des céréales et 11è sur le marché des semences. Ses 730 collaborateurs travaillent pour moitié en France, et à 90% en Europe. Sa stratégie est triple : défendre ses positions sur la betterave, les renforcer dans les céréales et se développer à linternational. Lentreprise a commencé par implanter des filiales commerciales dans les pays limitrophes. La production de semence sopérant toujours en France, dans la Beauce et dans le Gers. La dernière décennie a vu lexpansion dans les pays de lEst.
Accélération
Véritable bond en avant en 2005. Florimond Desprez prend alors le contrôle de SES Vanderhave, un géant belge 20 fois plus important (25% de part de marché versus 1% pour lentreprise nordiste). Ces investissements à peine digérés, le betteravier entre dans une nouvelle phase de croissance externe en 2010, en prenant une participation chez un sélectionneur allemand. Dans le même temps, il simplante en Russie et en Ukraine, avec pour la première fois, la construction de sites de production. Et ce, pour éviter des droits de douanes très élevés. Tout dernier développement en date, la création cet été dune filiale en Argentine, axée sur le blé. Avec une volonté, celle de renforcer ses positions sur cette céréale et dinvestir lAmérique latine. « Avec SES Vanderhave et Aker, dont le financement est déjà prévu, nous avons investi pendant des années dans la betterave. Maintenant, nous voulons réaffirmer nos positions dans le monde des céréales » explique Bruno Desprez. Avec une spécificité, celle de fonctionner selon des droits dauteur et non des brevets. « Nos concurrents ont accès à nos progrès, du coup, nous devons sans cesse innover et être les meilleurs », conclut le dirigeant.
Aker, quésako ?
Divinité égyptienne représentée par deux lions dos à dos. Lun regarde le soleil levant (les ressources génétiques), lautre le couchant (le matériel « élite »). Les deux animaux symbolisent aussi le partenariat public privé. La phonétique évoque enfin le « hacking » ou « craquement » génétique qui va être opéré.
Chiffres clés du marché du tubercule
175 MT de sucre produites en 2012.
22% sont issus de la betterave, le reste de la canne.
La France est n° 1 en production de sucre de betterave.
Prévisions : la production devrait augmenter de 30 MT dici 2020.
Marie Raimbault
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