Economie du livre : les libraires se cherchent un avenir

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France





















Le moral dans les chaussettes. Voilà qui résume l'état d'esprit des libraires après la confirmation de la hausse de la TVA sur le prix du livre. De 5,5 à 7%. Dans la région comme ailleurs en France, c'est le point et demi qui fait déborder le vase. L'annonce est intervenue au pire moment, à la fin d'une année où sont apparues au grand jour les difficultés de bon nombre de libraires. En mai, les premières Rencontres nationales de la librairie indépendante à Lyon avaient mis les pieds dans le plat. Une étude y présentait le constat de leur déclin économique manifeste entre 2003 et 2010. Hausse inexorable des charges, maigre progression de la marge commerciale, trésorerie en berne... Les ventes en ligne, 2 % du marché en 2002, dépassent désormais les 11 % ; la grande distribution engrange constamment des parts de marché : A l'aube du millénaire, les librairies dépassaient encore les 20%, contre 17% pour les grandes surfaces culturelles (Fnac, Cultura, Virgin), 10 ans plus tard, la tendance est largement inversée. " Aujourd'hui on doit mettre beaucoup plus d'énergie pour le même chiffre d'affaires. Au final, c'est le client qui y gagne, et c'est tant mieux ! Mais dans 15 ans, est-ce que je pourrai vendre ma librairie ou seulement les murs ? " s'interroge Olivier Barbier, de La Ruche aux livres à Wavrin.

" Pas suffisant pour se payer "

Le libraire, espèce en voie de disparition ? La région a subi quelques pertes : les librairies Demey (enseigne Majuscule) ont dû licencier 31 salariés et fermer fin 2010 deux magasins sur sept, à Boulogne et Bruay. D'autres n'ont pas trouvé de repreneur, comme à Béthune où Régis Bel a tourné la page après plus de 40 ans d'un engagement passionné. La librairie universitaire Meura à Lille aurait pu connaître le même sort en 2009, sans l'acharnement de deux repreneuses, Lilya Aït Menguellet et Sophie Ranchy, qui ont dû batailler ferme auprès des banques. Un métier mal connu, des stocks qui dorment, mais un fonds pourtant indispensable, des marges insignifiantes, la crise qui sévit - Du suicide ! jugent certains. Une passion, un choix de société, un modèle économique de proximité, répondent en coeur les forçats du livre. " En deux ans et demi, le chiffre d'affaires a évolué un peu, mais il n'est toujours pas suffisant pour se payer ", témoignent les deux thésardes, qui peuvent tout juste recourir à l'aide d'une salariée à temps partiel. Les commandes d'institutions, qui ne représentent encore que 15% des ventes, sont le salut, mais la prospection prend du temps qu'elles n'ont pas. Et le resserrement des deniers publics représente une nouvelle menace. Laure Colin, gérante de la librairie du Channel à Calais, portée par les éditions Actes Sud, s'agace de ce que la médiathèque municipale achète ses livres à Lyon. " La proximité devrait être un critère dans les appels d'offres ! ". Mais la librairie a trouvé elle-même son public, comme la Scène nationale voisine.

" Pris en étau "

L'aventure, si aléatoire soit-elle, tente encore. Charlotte Valois, 27 ans, a repris en août 2010 la librairie Tirloy et ses cinq salariés, autre institution lilloise créée il y a 85 ans. Les Lisières, nées à Roubaix en 1996, appartiennent depuis cet été à Emilie Vanhée, 29 ans. D'autres se créent ex nihilo, comme Mots et Merveilles en 2010 à Saint-Omer ou Résonances à Avion et Bruay-la-Buissière (voir plus bas).

La hausse de la TVA, ils la prennent tous comme une claque. Trente ans après la loi Lang qui, imposant un prix unique au livre, les a protégés de concurrents gourmands, les petits libraires voient se fissurer un fragile équilibre. Soit les éditeurs augmentent leur prix et c'est un coup porté au livre papier, alors que sa version numérique voit sa TVA baisser de Le livre en région

65 librairies (hors maisons de presse)
20 grandes surfaces culturelles :
12 Furet du Nord
2 Fnac, à Lille et Valenciennes
2 Cultura, à Hénin-Beaumont et Villeneuve-d'Ascq
1 Virgin, à Dunkerque
5 Espaces culturels Leclerc, à Caudry, Outreau, Bellaing, Seclin, Saint-Amand
(Source : CRLL juin 2010 (actualisé), www.eulalie.fr)
12 points ; soit ils ne l'augmentent pas mais c'est alors la marge des libraires et des auteurs qui baissera. " Nous sommes pris en étau entre le prix imposé par nos fournisseurs et celui fixé à la vente. La seule façon pour nous d'augmenter nos marges, c'est de vendre plus de livres... " relève Augustin Petit de Résonances. La quadrature du cercle. Pour Pascal Allard, chargé du livre à la DRAC, " la seule chance de survie, c'est le contact avec le public, en se faisant reconnaître comme un médiateur ".

" La crise sert les leaders "

Une recette que Le Furet applique aussi de longue date. Car à force d'opposer les petites librairies indépendantes à l'enseigne régionale, aujourd'hui contrôlée par le Crédit Agricole après avoir été un temps filiale de Virgin, on oublie ce qu'elle fit pour démocratiser la lecture : première à organiser la vente en libre service dans les années 50, à dédier un large espace au livre de poche, à organiser des rencontres avec les auteurs...

Né en 1936 dans 50 m2 d'un ancien magasin de fourrure lillois et repris en 1950 par Paul Callens qui l'installe sur la Grand Place, le Furet est aujourd'hui une marque qui anime 13 magasins avec près de 400 salariés, pour un CA 2011 stable à surface constante de 70 M€, dont la moitié sur le livre. Aujourd'hui un livre sur deux acheté dans la région l'est au Furet selon son président, Pierre Coursières. " La marque a gagné 1,5 point de part de marché. La crise sert les leaders. "

De la Fnac et sa stratégie, on ne saura rien. Avec la réduction drastique des effectifs (310 postes supprimés en France), l'heure n'est pas à communiquer sur ce segment. A Lille, Pierre Coursières ne la voit pas d'un mauvais oeil : " la proximité crée un cluster, une attractivité ". Vis-à-vis des libraires indépendants, il estime que chacun doit jouer son rôle de spécialiste. " Si on doit se bagarrer, c'est contre les hypers "

A Arras, Auchan a misé sur le livre dans ses 11 000 m2 flambant neuf, avec 6 000 références présentées dans le plus grand espace dédié proportionnellement à la surface du magasin. " Cet espace librairie est un vrai parti pris : Arras est une ville de culture et de pouvoir d'achat. Le rayon tourne très bien, on y travaille comme dans une librairie classique ", se félicite le directeur Stéphane Catrice. Mais si les blockbusters continueront de se vendre comme des petits pains, les titres plus exigeants attendront toujours leurs passeurs. Un choix de société qui devra trouver son équilibre économique.


Il court, il court, le Furet...

La librairie la plus connue de la région a pour la première fois quitté son giron. En 2011, le Furet a ouvert son premier magasin hors région, à Arcueil en région parisienne, avec 40 000 références de livres sur 700 m2 (1 600 m2 au total). Un nouveau concept inauguré la même année dans les centres commerciaux de Seclin et Coquelles. Et que Pierre Coursières (photo), aux commandes depuis 2003, entend dupliquer au rythme de une ou deux ouvertures par an (pour 1,5 à 2 M€ d'investissement par magasin). Un appétit conforme à la stratégie d'expansion annoncée en 2008 après la reprise du Furet par Vauban Partenaires et Participex Gestion (Crédit Agricole Nord de France), qui détiennent 80% du capital.

" Nous sommes aujourd'hui totalement centrés sur notre propre stratégie ", commente Pierre Coursières. Après avoir suivi celle du groupe Lagadère pendant près de 10 ans, le Furet a repris son destin en main grâce à un actionnaire principal " très preneur de rentabilité et d'expansion " qui le suit dans ses projets. En 2009, il lançait son site marchand, avec l'ambition de figurer dans le top 5 des cyberlibraires, derrière Amazon, Fnac, Decitre et Chapitre. Avec une centaine de ventes par jour, on en est encore loin mais le site, où l'ensemble des 13000 références du vaisseau amiral lillois est désormais disponible, permet de fidéliser la clientèle : la moitié achetant sur le web choisit de retirer ses achats en magasin. Le Furet trace sa route à l'échelle nationale désormais.



Il ouvre deux librairies dans le bassin minier

J'ai la solide conviction que le livre représente un enjeu de société majeur. " Augustin Petit, 48 ans, ancien ouvrier devenu prof de lettres, a quitté l'Éducation nationale pour créer sa librairie en août 2010 à Avion. Avec la certitude que l'hémorragie n'est pas inéluctable. A côté de la dématérialisation qui se poursuivra, il veut réincarner le livre dans le territoire. Sa librairie Résonances est le fruit de huit années de réflexion et de préparation. Un lieu enraciné qui milite pour la lecture, la culture et le rapprochement entre les auteurs et une population éloignée du livre, jusque dans les collèges et lycées. " Pour moi, un libraire indépendant, ce n'est pas un marchand de livres. La librairie doit être un lieu qui organise des relations autour du pluralisme de la pensée, des idées, de l'imagination. " Pour créer sa structure, il a réuni Autonomie et Solidarité, Gohelle Initiative, Artois Entreprendre, dont il est lauréat, et un club Cigales, pour un montage financier qu'il souhaitait à l'image de son modèle solidaire. Soit 250 K€ investis au final. Il a surtout créé trois emplois à temps plein, un mi-temps, et accueille deux jeunes libraires en contrat de professionnalisation. Il dit s'être engagé dans un combat, " mais pas perdu d'avance ! A la seule condition que se développe une pensée autour de l'enjeu d'un tel lieu, auprès des acheteurs de livres mais aussi des collectivités ". Sa parole porte: le maire de Bruay, sensible aux liens sociaux et culturels qu'il tisse, l'a sollicité pour ouvrir une librairie Résonances dans sa commune, qui vient de perdre la sienne. Elle ouvre ce mois-ci.

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