Carolyn Carlson, poétesse visuelle
Dans Dialogue avec Rothko vous interprétez vos poèmes. Comment avez-vous découvert ce peintre?
Lors dune exposition au Musée dart moderne de Paris consacrée à Rothko. Je ne lai pas connu. Mais quand jai vu ses tableaux, jai été choquée. La méditation, la pureté, cétait inexplicable, un peu comme mon travail. Son tableau noir sur rouge ma inspiré des haïkus (poèmes japonais). En lisant mon livre, quelquun ma dit, pourquoi nen fais-tu pas un solo ? Jai dit, oui pourquoi pas. Parce que lui aussi travaille avec lessentiel. Ce nest pas imiter Rothko mais juste se demander qui est-il ? Cest intéressant parce que ses 100 dernières uvres ne portent pas de titre, juste les couleurs utilisées.
Quel bilan tirez-vous de votre passage à Roubaix?
Cétait une riche expérience, inoubliable et la première fois dans ma carrière où jai vraiment pu travailler avec les habitants et la ville. Ici cest génial, jai le staff dont je suis très proche. Mais le plus important cest ce que nous avons fait dans la ville et avec les écoles. Avec par exemple, Danse Windows joué dans toute la région. Quand javais 22 ans, je vivais dans un quartier un peu défavorisé de New York mais les gens y étaient vraiment gentils. Je retrouve la même chose ici. Les briques, le multiculturalisme, je me sens à laise.
Un moment fort de votre carrière au CCN?
Cest à la piscine de Bruay-la-Buissière, avec Water born. Cétait incroyable parce quon travaillait à lextérieur. Nous avions leau, les arbres, les étoiles, la pluie, le brouillard. Cest étrange, parce que je suis très proche de la nature. Là-bas, cétait très spécial.
A chaque moment, nous avons un miracle. Je le vis ici avec le public quand il applaudit. Je me dis que peut-être je change quelquun. Je nai pas besoin de prix, ça cest un honneur incroyable. Je crois quen 8 ans ici, jai donné un espoir. Je touche lordinaire des gens.
Comment enseignez-vous?
Lenseignement cest ma vie, cest communiquer, donner des idées. Cela vient de mon maître de New-York, Alwin Nikolais (NDLR : dont elle fut soliste de 65 à 71). Il nest pas une technique, il est des idées. Il a toujours travaillé avec le temps, lespace et le mouvement perpétuel. Cest abstrait et un peu scientifique. Il plie lespace. Moi je rejoue sa poésie en essayant de toujours frapper les gens. Je leur donne un chemin, pas une technique.
Comment abordez-vous votre départ en décembre?
Je ne suis pas triste parce que jai la gratitude. Mais oui, jai de la nostalgie. Ça restera toujours avec moi, comme lorsque jai quitté Venise. Quand je pars dici, je pleure. Je laisse les vibrations dans le studio. Mais cest bien que quelquun dautre arrive.
Vous pensez à votre succession?
Cest un jury spécial qui choisira, je donnerai juste mon conseil. Il sagit aussi dun choix politique. Lart, cest du business aujourdhui. Avant, on choisissait les spectacles quon avait envie de faire. Désormais, on se demande : est-ce que la pièce va marcher ?
Quels sont vos projets pour laprès-Roubaix?
En 2013, nous allons danser pour lOpéra de Bordeaux, lOpéra de Paris, puis il y a le spectacle avec Bartabas, We were Horses en juin. Pour 2014, tout le monde sait que je pars et me rappelle. Jirai à Helsinki puis au théâtre de Chaillot. Cest mon karma, je danse à 70 ans, cest incroyable. Jai un cadeau, il faut continuer. Les choses viennent parce quil faut que je fasse ça. Quelquun ma dit : quand prends-tu ta retraite ? Retraite de quoi ? De la vie ? Regardez Maurice Bejard ou Martha Graham !
Recueilli par Julie DUMEZ
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